Conseil d’ami : ne demandez pas à Moritz Friedrich où diantre il se place sur le vaste échiquier des musiques électroniques. Si le mélomane casanier et le blogger hystérique peinent à faire rentrer son compactage unique d’electro boogie anabolisée, de funk épileptique et d’étrangetés mélodiques sans (presque) aucune ascendance dans les petites boites qui s’empilent sur leurs étagères, l’Allemand comprend encore moins bien la couleur de ses pulsions : « Je suis un redneck, je crois ». Comprendre : un philistin, un incorrect, un iconoclaste involontaire perdu dans son monde et paumé dans La Mecque de la musique électronique protestante (Berlin), un schizoïde dont l’univers est ravagé par la tension entre ses moitiés masculine (tabasseries electro house, drop bass viriles piquées au garage londonien, editing electronica nerd, viande rouge) et féminine (douceurs pop, suavité funk, fantôme d’enfants, crème fouettée). Mais demandez-lui seulement si la dance music est un horizon ou une contrainte (il n’est absolument pas DJ et il n’aime pas beaucoup les boîtes de nuit): « Il y tant de musiques colorées et intéressantes autour de nous, je me sens influencé par presque toutes, et incapable de choisir. J’ai grandi en écoutant les Beatles, The Police et Public Enemy, je n’ai jamais appris la musique, et je n’ai jamais pris le temps d’apprendre à jouer correctement du piano. Je me fiche des catégories et je suis incapable de comprendre pourquoi c’est la scène dance qui m’a adopté ». Une seule chose est claire : Moritz ne voudrait être qu’un « artiste », avec un grand A, il « adore et déteste la musique » à la fois, et il ne comprend pas tout à fait l’engouement limite religieux que lui vouent certains. Aussi, sa musique spasmodique et virtuose jusqu’à la nausée, tour à tour merveilleuse ou monstrueuse, évoquerait presque un cas aigu d’attention-deficit hyperactivity disorder (trouble du déficit de l'attention), ce mal moderne qui touche de plus en plus de gamins sacrifiés par notre époque malade : « J’ai passé ma vie à changer de boulots. Je suis un vrai redneck, je suis un artiste ». Presque un leitmotiv, donc.
Pour son tout premier long player qui vient de sortir sur le Monkeytown de Modeselektor, Friedrich avait fort à faire: ramasser 10 ans de carrière et douze mini-albums explosés entre house jazzy futuriste (le tout premier Ne Me Quitte Pas, en 2000), poppy prog électronique (l’adorable Meine Welt, sorti en 2002 sur Bungalow) et electro house cramée à l’absurdisme façon Residents (la plupart de ses très révérés EPs de ces dernières années). Comme son nom l’indique, Mosaik rapièce pourtant l’inrapiéçable et passe sans vergogne de la méchanceté à la gentillesse, de la guerre sur terre aux tendres embrassades, du boucan à la variété schlager. Et plutôt que de contourner le problème de l’excès d’éclectisme, il le met en scène façon hip-hop, à grand renforts de skits étranges et de bruitages enregistrés à la télé teutonne ou dans des vieux trente-trois tours de library music. « J’ai assemblé l’album à partir de tellement d’idées provenant de tellement d’époques différentes… L’idée de la mosaïque, avec ses petits cailloux multicolores qu’on organise pour faire une image cohérente, paraissait évidente. Et pour être honnête, j’aime la sonorité du mot ». C’est entendu, Mosaik sort du cerveau et des machines d’un vrai maverick qui semble presque habiter hors de l’époque : les mêmes sons synthétiques virevoltent en boucle jusqu’à l’obsession, les mélodies semblent se répondrent et se compléter à plusieurs années de distance. « Certains sons et certaines couleurs m’obsèdent depuis mon enfance : le son du Rhodes, le son du piano, et le son de certains synthétiseurs. J’ai fini par me les procurer, et je les utilise presque exclusivement. La seule chose moderne que je me suis résolu à acheter, c’est un ordinateur plus récent. Mais ça ne me rend pas la tâche plus facile : la possibilité virtuelle d’avoir tous les instruments jamais inventés à ma portée aurait plutôt tendance à m’enfermer. Je deviens incapable de choisir ». Ne seraient-ce les contrepoints de plug-ins dernier cri et le traitement sonore ultra-contemporain (cette fameuse compression sablonneuse qui marquait au fer rouge la plupart des productions estampillées electro house entre 2005 et 2008) Siriusmo serait presque un miracle tombé des étoiles. Dans ses moments les plus pop, les plus tendres et les plus singuliers, son premier album le frôle, le miracle. Loin du dancefloor et tout près de Sirius, «Idiologie », « Goldene Kugele » ou le déjà célèbre « Einmal In Der Woche Schreien » sont de vrais ovnis esthétiques et des purs ravissements mélodiques, où des voix plus ou moins incarnées (généralement Friedrich lui-même, caché derrière une myriade d’effets) transforment les tracks en chansons : « Mes morceaux ont besoin de voix, parce qu’ils ont besoin d’un rôle principal pour transporter l’auditeur». Et comme par enchantement, c’est Friedrich le bricoleur lui-même qui se mue en grand songwriter : « Je ne me considère pas comme un musicien. Mon seul désir, c’est de créer des petits machins qui me touchent et qui touchent aussi, pourquoi pas, les autres. Peu importe si l’émotion se réfugie dans les jambes ou dans la tête. C’est fabuleux, tout ce que peut provoquer une mélodie. C’est la seule chose qui m’intéresse ».
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