Yellow Magic Orchestra, Ombre et lumière (Trax, mars 2009)


Ils avaient les plus beaux sons de synthé du monde, ils étaient japonais, ils étaient fabuleux: par ici, on connaît pourtant mal la carrière de Yellow Magic Orchestra. Trente et un an après leur formation, retour nécessaire sur les autres parrains du hip-hop et de la techno dont les descendances sont si prodigieuses qu’une encyclopédie n’y suffirait pas pour les recenser.

Juillet 1978 : Moins d’un an après la sortie du Star Wars de Georges Lucas, la firme japonaise Taito installe les premières bornes d’arcade de sa nouvelle création Space Invaders. Le succès est foudroyant au point que le gouvernement japonais doit quadrupler la fabrication de pièces de 100 yens pour répondre à la pénurie de petite monnaie. Le 19 février de la même année Haruomi Hosono, génial touche-à-tout de la pop japonaise depuis 1969, invite ses cadets Yukihiro Takahashi et Ryûichi Sakamoto, deux musiciens aguerris dont il a déjà croisé la route, à une collation frugale de onigiri. Dans un cahier, il a griffonné quelques d’idées pour conquérir le monde de la pop, et il leur soumet l’alliance de deux de ses obsessions, les sonorités futuristes de la musique électronique dernier cri et l’exotica de Martin Denny, et leur propose de prendre le nom facétieux de Yellow Magic Orchestra pour une version disco électronique de « Firecracker » sous la triple influence de Georgio Moroder, Isao Tomita et des bleeps tout neufs des machines d’arcade. Armés d’un savoir-faire immense, d’un cortège de synthétiseurs et d’un sens de l’humour tout particulier, le trio entre immédiatement en studio pour façonner la plus étonnante des réponses à Kraftwerk : une pop électronique immensément sophistiquée, ésotérique et maximaliste.

Un monument et deux étoiles
Mais pour mieux cerner l’éclosion de l’univers si dense du groupe de Hosono, Sakamoto et Takahashi, il convient d’abord de remonter le temps : en 1978, les trois gaillards ont déjà de longues carrières derrière eux. Hosono en premier a fait ses débuts en 1968 dans le plus grand groupe de rock psychédélique japonais de son époque, The Apryl Fool, avant de révolutionner la pop de son pays en refusant de reprendre d’inclure des standards occidentaux et en forçant l’usage du japonais dans le rock sous influence de Happy End (Buffalo Springfield, The Band). Sa carrière très prolifique, continuée avec son album Hosono House, est jonchée d’immenses standards (de « Kaze Wo Atsumete » de Happy End à «Owari no Kisetsu », tout le monde au Japon connaît ses chansons) et de disques de plus en plus inclassables dans lequel il mariait ses marottes - l’exotica, la musique traditionnelle d’Okinawa et le rhythm’n’blues. Sa trilogie « exotica » (Tropical Dandy, Bon Voyage Co. et Paraiso) enregistrée avec le groupe Tin Pan Alley expose déjà largement cette étrange vue prismatique de l’Asie qui fera toute l’étrangeté à l’étranger de YMO : celle, elliptique et déformée, d’un G.I. débarqué dans le Pacifique après la guerre revue et corrigée par un asiatique (« Harry Hosono Jr. ») qui connaît l’occident sur le bout des doigts. En outre, ses disques font progressivement montre d’un intérêt grandissant pour les synthétiseurs modulaires: sur certains morceaux de Paraiso (sur lequel s’illustrent déjà Takahashi et Sakamoto), ils se font vrombissants. Mais c’est après un voyage en Inde avec le peintre pop Tadanori Yokoo que Hosono verra la lumière électronique: Cochin Moon, enregistré avec Shuka Nishihara, Sakamoto et un certain Hideki Matsutake à la « programmation informatique », déplace la musique électronique la moins planante (celle de Morton Subtonick, Kraftwerk ou Cluster) dans un hôtel à Madras, et constitue une pierre angulaire de l’histoire de la musique électronique. Quand il invente YMO en 1978, Hosono est donc déjà, dans l’imaginaire japonais, tout à la fois Neil Young et Jean-Michel Jarre ; Sakamoto, de son côté, a déjà hérité de ses études en musique électronique et ethnique à l’Université de Tokyo du surnom de kyojyu (professeur), enregistré des disques de jazz et publié un album instrumental plutôt stupéfiant de voracité musicale entre jazz rock, Erik Satie et bizarrerie électronique, Thousand Knives of Sakamoto. Il a aussi produit Saravah !, premier album solo très francophile de Takahashi, belle gueule, belle voix et ex batteur des très populaires groupes glam rock Sadistic Mika Band et The Sadistics.

« Harry Hosono & the Yellow Magic Orchestra »
YMO naît donc comme le side-project excentrique de trois pop stars confirmées ou en devenir, notamment Hosono qui imagine le premier album du groupe comme une extension toute électronique de son anthologie exotica / soft rock Pacific (sur lequel figure déjà une version de « Cosmic Surfin »). Si Sakamoto et Takahashi marquent résolument de leur empreinte l’étrange fusion futuriste novelty/orientalisme/jazz rock/disco/videogame (la complexité harmonique de « Tong Poo » apparaît comme du Sakamoto pur jus) de ce debut album éponyme, le premier maxi promotionnel qui circule au Japon est toujours crédité «Harry Hosono & the Yellow Magic Orchestra». C’est une opportunité de deal à l’étranger après un concert à Tokyo et le succès foudroyant à la sortie du disque au Japon en novembre 1978 qui motivent les trois musiciens à mettre un temps leurs carrières solo en retrait, et à promptement transformer leur pop avant-gardiste et ingénieuse en techno pop conquérante.

Messieurs Technologie
Enregistré immédiatement avant même que le premier ne sorte dans le reste du monde dans une version modifiée et « poppisée », la collection de tubes Solid State Survivor donne le ton : celui chevaleresque et grandiose du « Rydeen » de Takahashi, inspiré par les chevauchées des Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa. « Rydeen » devient alors un hymne futuriste immense (sur lequel on pratique encore aujourd’hui traditionnellement sa gymnastique dans les écoles primaires) et propulse le groupe en chantre de la technologie à une époque où tout ou presque reste à inventer pour interagir avec les machines : le trio doit même emmener sur scène son 4ème membre de l’ombre Hideki Matsukate pour saisir le code dans les séquenceurs à l’avance pour le morceau suivant et gérer les caprices des moogs (trois décennie plus tard, Takahashi se souvient que «c’était un cauchemar. Et si la saisie prenait trop de temps, on rallongeait les solos… »). Par fétichisme presque autant que par nécessité, le groupe suit fébrilement et obsessionnellement les mutations fondamentales de la technologie qui surviennent en temps réel, notamment l’éclosion de la norme MIDI et des tout premiers samplers : les listes de matériel qui décorent leurs pochettes donnent le vertige.

Auto-orientalisme et coupe de cheveux
Loin de s’enfermer dans une prison dorée quand ils deviennent chez eux les trois pop stars les plus célèbres de leur époque et le groupe japonais le plus important à l’étranger, Sakamoto, Hosono et Takahashi s’amusent en multipliant les sorties absurdes sur la vie au Japon (déclarant à un journaliste américain que la pollution à Tokyo oblige les gens à porter des masques à gaz), en brouillant leur image en adoptant le costume Mao comme tenues de concert ou en inventant la « Techno Pop Haircut », encore populaire chez les salarymen de notre époque quand elle leur fut inspirée par des musiciens… de musique classique. Le mini-album Xoo Multiplies, composé à moitié de sketches acides sur les salarymen par le groupe de comiques Snakeman Show, est comme une blague géante la position ambiguë du Japon en Occident et sur celle, tout aussi problématique, du groupe quand il tourne à l’étranger. Quand ils participent en 1980 à la célèbre émission rhythm’n’blues Soul Train, les trois sont heureusement plus impressionnés par les breakdancers qui se déchaînent sur « Computer Games » que par la moquerie gentiment raciste de l’animateur Don Cornelius, qui n’a manifestement pas tout à fait saisi l’ironie de leur reprise du standard texan « Tighten Up ! »

Dissolution
A ce moment de sa carrière, le groupe est comme le négatif du mouvement New Romantic qui est en train d’éclore en Grande-Bretagne. Après les perles glacées BGM et Technodelic (toutes deux sorties en 1981) qui payent leur tribut au hip-hop naissant et Kraftwerk mais reviennent surtout vers l’ambiant et une plastique plus sombre, expérimentale et arty, YMO adopte pourtant une nouvelle esthétique plus clinquante, et plus en phase avec le tsunami electropop mondial. Après une année de hiatus, de tensions et de sorties solo, le trio revient avec son premier album intégral de pop songs Naughty Boys, suivant un virage motivé par Sakamoto qui insiste pour que chacun garde ses envies plus expérimentales pour ses disques solo (une rumeur incrimine aussi son mariage avec Akiko Yano qui accompagne le groupe sur scène depuis 1980, et a récemment rejoint les Témoins de Jéhovah). Le succès est immense, mais le groupe perd une partie de son âme en devenant un groupe pop sophistiqué qui n’a plus rien à voir avec le trio excentrique des débuts.

Dispersion
Après Service, dernier album splendidement dispersé entre pop songs en anglais et sketches en japonais, YMO splitte ou plutôt, selon une formule célèbre de Hosono, se « disperse ». De fait, les trois musiciens retournent surtout plus officiellement à un régime créatif qui leur apparaît bien plus naturel sans jamais vraiment se quitter des yeux. Le label Yen Records, crée par Hosono et Takahashi en 1982, leur sert d’instrument pour animer la très fertile scène « City Pop», finançant et produisant les projets toujours plus singuliers de Guernica et Jun Togawa, Hajime Tachibana et Plastics, Mishio Ogawa et Miharu Koshi. Surtout, ils multiplient les projets solo. Takahashi sort une série de classiques new-wave avec Steve Nye, David Palmer d’ABC ou Phil Manzanera de Roxy Music. Sakamoto devient la star internationale que l’on sait en jouant avec David Bowie dans le Furyo de Nagisa Oshima et en signant son inoubliable thème musical, puis partage sa carrière entre outings electropop et b.o. Debussy-esques. Hosono, enfin, devient LE monsieur futur de la pop nipponne avec son cortèges de machines dernier cri en produisant des albums ravageurs et fabuleusement modernes d’electro pop pour son compte et pour les autres (son alter ego Miharu Koshi, notamment). Enfin, les trois rénovent complètement depuis l’ombre la variété nipponne : pendant la première moitié des 80s, la kayôkyoku (musique populaire) des charts dépend à ce point de leur influence et des chansons qu’ils composent pour les idols qu’on la renomme techno kayô.

Ombre et lumière
Moins à l’aise avec le star-system qu’avec le studio, les trois suivent ensuite des chemins de plus en plus arty et low-key. Depuis New-York, Sakamoto se rêve en Quincy Jones de la World music. Hosono surtout plonge corps et âme dans les musiques de film, l’electronica et l’ambient via ses labels Monad et Daisy World, collaborant à l’envie avec Bill Laswell ou Atom Heart. Quand les trois se retrouvent en 1993 sous le nom de NO-YMO, ce n’est plus le même groupe qui enregistre avec William Burroughs l’étonnant cocktail techno de Technodon, et la musique n’a plus rien à voir ; pour leur deuxième réunion anniversaire en 2008, ils font seulement mine d’augmenter Sketch Show, le groupe electronica pop que Hosono et Takahashi forment ensemble depuis 2002, et adoptent le nom HASYMO. Et le contexte n’a plus rien à voir non plus : Sakamoto, adoubé maestro de la modernité, collabore avec quelques pierres angulaires de la laptop music (Alva Noto ou Fennesz) et Hosono, plusieurs fois sacré géant de la musique électronique mondiale, a préféré fêter ses soixante bougies avec un album de reprises de standards des années 40 plutôt qu’avec la jeune garde electronica qu’il soutient via son label Daisy World. La musique qu’on entend sur les concerts du coffret live EUYMO ou sur la b.o. du film à sketches Tokyo ! n’a donc rien à voir avec celle que jouerait un groupe reformé pour renflouer les caisses. Incapables de penser au passé et toujours obnubilés par le présent, les trois membres de HASYMO ont l’air d’aborder leur nouveau projet comme ils abordèrent YMO en 1978, c’est-à-dire comme un jalon parmi tant d’autres de leurs immenses cheminements. Après le retour aux affaires du Daisy World de Hosono ou Pupa (le super groupe electropop de Takahashi), on n’a toujours pas de nouvelles d’un éventuel album studio de HASYMO en 2009, et ce mois de mars voit déjà les sorties de nouveaux albums solo de Sakamoto et Takahashi…

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YMO etc.: une petite discographie arbitraire

Haruomi Hosono & Tadanori Yokoo « Cochin Moon » (King, 1978)
B.O. imaginaire conçue après un voyage en Inde avec le pape du pop art japonais Tadanori Yokoo, Cochin Moon prolonge le domaine exotique de l’œuvre de Hosono en version avant-gardiste et électronique. Impressionné par les disques de Isao Tomita et Kraftwerk, Hosono façonna (avec Hideki Matsutake, Sakamoto et Shuka Nishihara) un chef d’œuvre historique qui fascine aujourd’hui autant pour sa prescience que pour son lyrisme.




Yellow Magic Orchestra « Yellow Magic Orchestra » (Alfa, 1978)
Comment évoquer ce qui est certainement l’un des dix chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique électronique ? On rappellera juste brièvement que quand le trio enregistre cette pépite fantaisiste et arty (disco électronique, exotica et bleeps de jeux vidéos) largement ébauchée par Hosono, il a moins le futur à l’esprit que l’incongruité. De "Simoon" à "La Femme Chinoise", pas une milliseconde n’est à jeter dans ce monument.




Ryuichi Sakamoto « B-2 Unit » (Alfa, 1980)
Plus encore que « Thousand Knives », cet album incandescent de 1980 enregistré avec Andy Partridge de XTC est l’œuvre d’un esprit curieux et vorace. On y entend des boîtes à rythmes épileptiques, des pois sauteurs électroniques, du funk (légendaire Riot in Lagos) et des dissonances. Le laborantin d’alors semble à des années lumières du petit maestro qui allait composer la b.o. de Furyo moins de deux ans après.




Yellow Magic Orchestra « BGM » et « Technodelic » (Alfa, 1981)
« Ça doit être le bout de pain le plus immonde que j’ai jamais mangé » : la saillie absurdiste qui ouvre Technodelic, chantée en canon Beatlesien, résume parfaitement l’esthétique des deux albums sortis par YMO en 1981. Entre rigidité sombre, délires technicistes et explosions electropop, le groupe se cherche et la tension est passionnante. C’est avec cette « beautiful grotesque musique » (BGM) qu’il reste le plus novateur.




Yukihiro Takahashi « Neuromantic » (Alfa, 1981)
Avec son titre en forme d’hommage au mouvement New Romantic naissant et aux sciences cognitives (l’écrivain William Gibson, inventeur du mouvement Cyberpunk et fan de YMO notoire, avait peut-être le disque en tête quand il a écrit son classique Neuromancien), cet album avait tout pour devenir un classique. La présence de Hosono, Sakamoto et Matsutake sur la plupart des morceaux donne un peu l’impression d’entendre un album de YMO.




Logic System « Venus » (Toshiba, 1981)
On surnomme souvent Hideki Matsutake le 4ème YMO, et la musique du groupe aurait sans doute été très différente sans ce génie des synthétiseur (ancien assistant de Tomita). Avant de se perdre dans un jazz-rock plutôt insipide, son projet le plus pop Logic System a fait naître deux pépites assez ahurissantes, Logic et ce Venus culotté qui ravira certainement les fans de Jan Hammer et de musique synthétique californienne.




Haruomi Hosono « Philarmony » (Alfa, 1982)
En vacances des pesantes exigences d’un groupe devenu trop lourd à son goût, Hosono s’enferme avec ses machines toutes neuves (boîte à rythmes Linn, sampler Emulator et Prophet-5) et gribouille instrumentaux oniriques, expérimentations formelles, ambiant abyssal ou electropop en mode confessionnal. Vingt-cinq ans après, c’est encore magique, stupéfiant de modernité et infiniment émouvant.




Miharu Koshi « Parallelisme » (Yen Records, 1984)
Paru un an après Tutu (où apparaissait une reprise de "L’amour toujours" de Telex produite par Marc Moulin lui-même), Parallelisme est un disque doublement précieux : démonstration éblouissante de l’apport ahurissant d’invention de Hosono à l’electropop, il inaugure en toute intimité une camaraderie de trente ans (qui dure encore) entre la divine chanteuse et le maître. Le disque est même crédité « Miharumi ».




HAT (Harry Hosono, Atom Heart & Tetsu Inoue) « DSP Holiday » (Daisy World, 1998)
Exemple du genre de récréations qui occupait un Hosono revigoré par l’underground electronica dans les années 90, cette collaboration avec Atom Heart (qui a enregistré en 2006 un album intégral de reprises de YMO par Señor Coconut) et le crack de l’informatique Tetsu Inoue est comme une suite de Cochin Moon basée à Hawaï… A l’exception près que Hosono y joue exclusivement les instruments acou
stiques. Rêveur et précieux.




YMO « Faker Holic » (Alfa, 1990)
Pour se faire une idée réaliste de YMO sur scène en 1979, il faut absolument préférer ce Faker Holic (notamment enregistré au Palace) à Public Pressure, dont les parties du guitariste Kazumi Watanabe furent effacées pour d’obscures histoires de droit.
YMO avec Akiko Yano et Watanabe ressemblait alors à un très bizarre groupe de fusion dont les synthés se désaccordaient trop souvent, mais à l’énergie prodigieuse.




Various Artists « Yellow Magic Kayokyoku » (GT Music)
En remplacement des géniales compilations Techno Kayo aujourd’hui épuisées, ce triple cd compile quelques-uns des hits que Takahashi, Sakamoto et Hosono composèrent et produisirent pour les autres en pleine furie techno pop. A noter que malgré le titre (« kayôkyoku » signifie musique populaire), le tracklisting est loin de se limiter aux idols : on retrouve par exemple Akiko Ya
no ou la très torturée Jun Togawa.










Harmonic 313/Mark Pritchard: Retour vers le futur (Trax, février 2009)


Il fut un temps où la musique électronique ne parlait presque que du futur. Parce que le Siècle était bouillonnant des promesses de la technologie, parce que les sons littéralement inouïs des premiers synthétiseurs semblaient bien trop aliénants pour figurer le temps présent et provoquaient des émeutes dans les salles de concert, ils jouèrent par défaut le rôle de bruiteurs officiels dans les mises en scènes du futur qu’offraient le cinéma, la télévision et les disques en stéréo – à bord d’un vaisseau spatial ou sur une Planète Interdite. Et si la plupart des musiques électroniques populaires qui prirent sa suite, de Kraftwerk aux alchimistes de Detroit, pérennisèrent avec les bandes originales de film la vivacité ce gros bagage, c’est certainement la Dance britannique qui a fait le plus grand cas de ce temps à venir avec ses bandes-son affolantes, notamment via des signatures rythmiques sans cesses renouvelées (du breakbeat au dubstep en passant par l’IDM, pas moins de 3578 mutations en 15 ans). Et la musique qui parle du futur, le monument Mark Pritchard ne connaît que ça : en décalage avec les étranges assemblages de notre époque dont on ne sait plus s’ils évoquent le passé, le présent, le futur ou les trois simultanément, son nouveau projet Harmonic 313 remet généreusement les pendules à l’heure. C’est-à-dire, en fricotant de nouveau avec ce temps où le futur avait encore sa place… le passé.

Héros transgenres
Un passé dont il était un petit pionnier hyperactif : de l’electronica très en avance sur son temps de Reload jusqu’à l’ambiant house de Global Communication, Pritchard a, en solo ou avec son compère Tom Middleton, marqué au fer rouge cette époque séminale où l’on croyait que la musique électronique avait encore tout à inventer. Une époque où la musique électronique était très essentiellement affaire de genres, aussi, quand ses musiciens et son public trouvaient dans les sous-catégories qu’elle ne cessait d’enfanter toute sa cohérence et son énergie d’invention. Qu’ils signe un maxi de pure jungle atmosphérique sous le nom de Chameleon, une rêverie broken beat sous le nom de Troubleman ou une décharge de house sexy sous le nom de Secret Ingredients, Pritchard, avec sa discographie mammouth, est un personnage clé de la techno anglaise des 90s. « En 1993, changer de nom à chaque projet était une nécessité: il était inimaginable que le même artiste fasse un disque de techno en septembre et un disque de house en novembre. Les disques n’étaient même pas vendus dans les mêmes magasins ! Mais c’était aussi une bonne chose : les gens jugeaient uniquement la musique, ils se fichaient de qui l’avait composée. Nous étions très isolés avec Tom parce que nous faisions autant de l’ambiant techno que de la house ou de la drum’n’bass, et changer de nom, c’était une manière de préserver notre liberté».

Crossover
Déclinaison de Harmonic 33, projet en duo avec Dave Brinkworth consacré à son amour pour la novelty et la library music (Music For Film, Television And Radio Volume 1 est sorti en 2005 sur Warp), Harmonic 313 est pourtant un concassage étonnant et éminemment personnel qu’on peinera à rattacher précisément à quelque genre que ce soit. Dérivé certain du rétrofuturisme identifié de Harmonic 33, il allie de gré ou de force quelques accessoires typiques du futur dans le passé (Commodore 64, vieux modem ou Dictée Magique) aux formes de la dance contemporaine britannique la plus vivace – que Pritchard condense sous le terme « UK Bass Music » - et à un beau catalogue de ses éternelles amours, breakbeats hip-hop, nappes IDM et assauts reggae. Un retour vers le futur intense et vibrant en même temps qu’un retour aux sources : « Je fonctionne par projets, par grappes d’idées et ce sont souvent les genres musicaux qui orientent leur finalisation. Mais cette fois, je n’avais aucun genre en tête: c’est un disque beaucoup plus varié que d’habitude. Le visuel, avec son terminal d’ordinateur qui grimace, fut son point de départ et sa principale influence. Le titre, « Le jour où les machines seront plus intelligentes que les hommes » évoque le futur. Et la musique résume exactement mon idée d’une musique futuriste : un truc flippant. C’est un détour par le passé, aussi: le futur angoissant des années 50 et 60, la science-fiction et la musique électronique de cette époque. Ceci dit, c’est un disque beaucoup moins rétro que d’autres disques que j’ai pu faire. Il tente vraiment un mouvement vers l’inconnu: la production, les patterns rythmiques, l’ambiance… Et puis Detroit, qui est toujours une immense influence (ndr, 313 est le code postal de la ville de Derrick May et Jay Dee), le reggae, la Bassline anglaise, les mélodies early electronica… Ce sont des vieilles formes, mais qui correspondent toujours à l’idée que je me fais du futur».

BASS MUSIC
Dans le futur idéal de cet éternel enthousiaste des nouvelles formes, nul doute que la verdeur et l’effusion de la scène dubstep avait son rôle à jouer. Pourtant, si on le voit de plus en plus souvent pousser des disques aux côtés de N-Type, DMZ ou Rusko, Harmonic 313 est loin d’être, à l’instar des mutations récentes de « anciens » comme Neil Landstrumm ou Jack Dangers, un projet sous influences. « Comme les gens savent que je joue un peu de dubstep, tout le monde me parle de dubstep. Mais When Machines Exceed Human Intelligence n’est pas un disque de dubstep. C’est un projet plus large : je suis anglais et en Angleterre, la dance music est inextinguible du monde des sound-systems et du reggae. Le dubstep, le UK garage, le Two Step, c’est la même chose pour moi. Ceci étant dit, je trouve la musique de ce quatre, cinq dernières années très excitante. Et j’aime quand les anglais trouvent des nouvelles formes pour mieux les pervertir dès qu’ils peuvent en laissant rentrer toutes les influences, la musique brésilienne ou la techno. Il y a beaucoup de gamins qui bouleversent un peu tout, qui semblent se foutre des genres ou des techniques, que ce soit dans la manière dont ils découpent les samples où dont ils calent leur rythmes, et c’est très rafraîchissant. J’ai un peu du mal à juger parce que j’habite loin de tout ça (ndr, Pritchard habite en Australie depuis quatre ans), mais ça me rappelle un peu quand j’ai découvert The Black Dog ».

Futur immédiat
Comme l’explique Pritchard, le futur selon Harmonic 313 est effectivement sombre et anxiogène: une voix de synthèse proclame dans "Music Substitute System" que « la musique appartient désormais au passé », et les titres laissent morceaux sont souvent sans équivoques : "No Way Out", "World Problems", "Call to Arms"… On est donc bien loin du positivisme béat et de l’idée toute hégélienne du progrès qui animaient la scène chill-out des 90s, plus notamment les projets de Pritchard et Middleton dont les labels s’appelaient tout de même Evolution et Universal Language. Que s’est-il passé ? « C’est Tom qui trouvait toutes ces idées très chouettes de nom, de concepts et de visuels pour Global Communication et Evolution. Il était graphiste et très fort en marketing. Mais au-delà de l’amour que l’on partageait pour la musique, ce sont les désaccords profonds esthétiques et philosophiques qui tenaient le projet. J’ai tendance à aimer les choses plus intenses, plus noires, et Tom… le contraire. Quand nous faisions de la musique ensemble, chacun tirait les morceaux vers lui, et c’est ce qui les rendait si intéressants, ambigus et équilibrés. 76 :14 est à la fois un disque très positif et émotionnel et un disque très sombre. J’aime la musique folle, têtue, tendue, courageuse, qui t’interpelle en même temps qu’elle te donne envie de sauter partout : c’est comme ça que le cœur humain fonctionne ! Et si ce nouvel album a l’air assez noir, je crois que je me sens plus positif et enthousiaste en ce moment que je ne l’ai été depuis des années ». Ainsi, Pritchard déborde littéralement de projets pour les mois à venir : « L’album de Africa High-Tech, avec Steve Spacek, sort bientôt sur Warp. Je suis également en train de finir un album plus expérimental sur lequel je bosse depuis des années, probablement sous le nom de Reload, toujours pour Warp. Je sors un maxi incessamment sous peu sur Hyperdub, et j’ai terminé un remix de DJ Mujava et une reprise de The Black Dog, tout ça encore pour Warp. Je passe énormément de temps en studio, et ça me fait un bien fou… »

Discographie sélective

Reload « A Collection of Short Stories » (Infonet/Creation 1993)
Paru surs le sous label électronique de Creation et presque intégralement enregistré avec Tom Middleton, le premier long player de l’ami Pritchard est un classique oublié d’intelligent techno. Cousin aquatique de The Black Dog et des premiers Autechre, il emmène l’ambiant vers de saisissants territoires polyrythmiques et industriels.

Global Communication « 76 :14 » (Dedicated, 1994)
Grosses mélodies transparentes, grosses nappes concaves, étoiles filantes dans la reverb : le seul vrai album de Global Communication (aka Pritchard et Middleton) est un sommet de cette niche immersive de la vague chill-out qu’on appelait l’ambiant house. C’est aussi un pilier de l’electronic listening music (tout Warp au milieu des 90s) et un grand moment de la musique électronique tout court.

Jedi Knights « New School Science » (Evolution, 1996)
Profitant d’un revival electro funk initié par le regretté label Clear, Russ Gabriel et DMX Krew, Mark et Tom lançaient en 1996 ce gros pavé funky dans la mare techno. Treize ans plus tard, on mesure tout de même mieux leur geste : tour à tour techno hypnotique, ambiant voire complètement house (un morceau est dédié aux Masters at Works), cette electro grand angle bouffait à tous les râteliers. Malheureusement, les avocats de George Lucas ont rendu l’objet honteusement dur à dénicher.

Global Communication « The Way/The Deep » (Dedicated, 1996)
Mirifiques exemples du genre de grand écart dont était capable le duo en 1996, ces deux énormes bangers de deep house high-tech et aquatique demeurent une anomalie dans leur discographie. Et on pleure qu’ils soient restés presque sans descendance (à l’exception des maxis « Chicago, Chicago » et « New York, New York » de Secret Ingredients). Cousin langoureux de Daft Punk et Todd Edwards, le « Secret Ingredients Mix » de The Way est un classique absolu.

Harmonic 33 « Music for Film, Television & Radio Vol.1 » (Warp, 2005)
Passé étrangement inaperçu, ce bel hommage à la library music et aux musiques de séries B et autres émissions de télévision est probablement l’un des plus singuliers projets de Pritchard. Enregistré et composé avec Dave Brinkworth (avec qui Pritchard faisait déjà de la drum’n’bass en 1998 sous le nom de Use of Weapons), il délaisse beats et samples pour de beaux instrumentaux retrofuturistes qui lorgnent autant du côté de Morricone que du roi du Moog Dick Hyman ou des miniatures électroniques du BBC Radiophonic Workshop.


Steve Moore/Zombi - Too many zombies (Trax, mais 2009)


Dans les bourrasques de la hype, il est parfois laborieux de distinguer les plus sincères passionnés des petites frappes qui suivent le mouvement. En ce qui concerne cette niche bourrée à craquer d’images du revival late 70s qui, de Justice à Giallos Flame, s’est éprise des bandes sonores prog, discoïdes et synthétiques des gialli italiens et des séries B horrifiques américaines, on n’hésiterait pourtant pas à une seconde à sacrifier au lance-flammes 99% des groupes récemment engouffrés dans la brèche pour une seule production estampillée Steve Moore. Obsédé depuis sa plus tendre enfance par les vieux synthétiseurs et les musiques de Fabio Frizzi, Goblin ou Maurizio et Guido Angelis, ce multi-instrumentiste virtuose fut certainement parmi les premiers à aller déterrer les zombies et à distiller les ambiances oniriques de ces étranges b.o. dans sa musique ésotérique. D’abord dans le prog minimaliste et complexe de Zombi, duo qu’il forme avec le batteur A.E. Pattera et qui fut longtemps cantonné à la curiosité de concert pour metalheads nostalgiques (hébergé chez Relapse, maison mère du métal extrême) ; ensuite dans la pléthore d’albums (The Henge, Vaaalbara), de musiques de film et de remixes (du groupe grindcore Genghis Tron jusqu’à …Camille) qu’il signe sous son propre nom ou celui de Lovelock. Entre la sortie d’un nouveau Zombi exceptionnel et celle de l’hilarante b.o. qu’il signe sous le nom de Gianni Rossi pour le slasher parodique Gutterballs, il était plus que temps de parler avec notre zombie préféré, autant capable de pondre des tueries italo que de jouer du synthé avec les terribles Sunn O))).

Après le minimalisme total des albums précédents de Zombi, Spirit Animal surprend par l’exubérance de ses arrangements. Pourquoi ce changement ?
Après des années à tourner en duo, il était temps de nous violenter. J’étais fatigué de la formule synthé/batterie et j’avais un peu peur de la redite. Ajouter des guitares dans la marmite était la solution idéale pour sortir de ce territoire sombre et angoissant qui était devenu un peu trop confortable.

Comme « Cosmos », c’est un album thématique… Que signifie Spirit Animal ?
C’est un thème assez flou, mais tout à fait directeur : au risque d’avoir l’air d’un illuminé new-age, les morceaux parlent tous de cette force intérieure qui est le premier moteur de nos actions, et de comment la maîtriser. On aura beau l’ignorer, c’est elle qui nous permet de réaliser les désirs de nos vies.

On peut entendre des échos évidents de Red de King Crimson dans le morceau «Earthly Powers »…
C’est tout à fait volontaire. Je viens justement de racheter un exemplaire en superbe état de l’album, et c’est l’un de mes groupes préférés. Le rock progressif de Genesis, Goblin ou PFM est la première influence de Zombi. Nous leur devons énormément, même si l’idée de mettre au premier plan les textures des synthétiseurs plutôt que la voix ou les guitares vient de la musique électronique française des années 70.

Les mesures asymétriques et mes jeux rythmiques complexes jouent également un rôle essentiel dans la musique de Zombi : on vous rapprocherait d’ailleurs plus volontiers du math rock que du metal.
C’est tout à fait vrai. Nous adorons Don Caballero, par exemple, mais comme nous utilisons des synthés plutôt que des guitares, on nous a rarement comparé à eux. Les rythmes constituent au moins la moitié de l’intérêt de nos compositions et en tant que bassiste, j’aime l’idée que ça soit la ligne de basse qui porte la mélodie. Sans voix pour distraire l’attention, on peut vraiment jouer avec les centres d’attention, faire jouer le rôle principal à une ligne de basse jouée sur par une basse puis un arpège de synthétiseur, puis repasser à la basse et faire jouer au synthétiseur un thème… etc, ad libitum, comme les différentes lignes mélodiques dans une fugue ou une composition contrapuntique.

La manière dont vous jouez en concert semble également déterminante dans la manière dont vous arrangez vos morceaux – notamment la façon dont tu passes de la basse aux synthétiseurs.
Nous sommes une entité double, moitié groupe de live, moitié groupe de studio. Nous avons commencé par composer des morceaux dans l’optique de les jouer sur scène car à deux musiciens, il faut être très ingénieux : Paterra lançait des boucles de synthé en même temps qu’il jouait sa batterie, tandis que je jouais les nappes sur les synthés d’une main et la basse de l’autre. Mais à côté, nous avons commencé à composer des morceaux plus ambitieux uniquement pour les albums, comme « Cassiopeia » et « Taurus », sur Cosmos. Avec le temps, nos arrangements se sont beaucoup étoffés, même si ça rend nos concerts de plus en plus éprouvants. Je crois que nous sommes en train de devenir un vrai groupe de studio, en fait.

Les vieux synthétiseurs que tu utilises semblent jouer un rôle prépondérant dans ta musique. Es-tu un grand collectionneur ?
Les synthés sont ma première inspiration. Je n’aime rien tant qu’expérimenter avec les possibilités et les limitations de ces vieilles machines, pour ensuite essayer de composer dans le territoire de contraintes qu’elles m’imposent. Je les collectionne, même si je ne suis pas dans la situation financière de m’adonner à cette passion aussi insatiablement que je le voudrais : mon banquier me force à être sage et modéré. En ce moment, mes chouchous sont un Elka Rhapsody 490 (une « string machine » célèbre, ndr) et le nouveau Prophet 08 de Dave Smith, mais nous avons commencé Zombi avec trois fois rien, un Korg Polysix, un Casio CZ1000, un Sequential Circuits Six Trak et une boîte à rythmes Boss Dr. Rhythm.

Quand vous avez commencé le groupe, vous étiez plutôt isolés dans votre envie de revenir à la musique de John Carpenter, Goblin ou Fabio Frizzi. Aujourd’hui, les projets qui se réclament de ces compositeurs pullulent : qu’est-ce qui motive selon toi ce tsunami de nostalgie ?
J’imagine que c’est lié à la technologie. Quand on a commencé Zombi en 1999, les synthétiseurs virtuels qui émulaient les synthétiseurs n’existaient pour ainsi dire pas. Si tu t’intéressais à cette vieille musique ésotérique, il fallait avoir la chance d’avoir accès aux machines, assez de place dans un studio pour les brancher, et connaître quelqu’un d’assez fou pour sortir la musique que tu faisais avec. Aujourd’hui, avec Myspace et la prolifération des petits labels, n’importe qui peut se procurer des versions crackées de ces synthés virtuels, utiliser trois presets et se faire connaître rapidement. Je ne sais pas encore si c’est une bonne ou une mauvaise chose. J’ai entendu une floppée de très mauvais groupe rétros ces derniers temps, qui, j’imagine, s’éteindront avec la prochaine mode. Mais il y a tout de même quelques musiciens excellents dans le lot, comme Chateau Marmont, Martial Canterel, Turzi ou Jonas Reinhardt.

Il semble que l’essor de revival des bandes originales de film synthétiques de la fin des 70 et du début des années 80 soit autant motivée par des raisons esthétiques – le minimalisme, les sons des synthés de l’époque comme les Prophet, les Jupiter ou les Juno – que par pure nostalgie des images qu’ils illustraient.
Je suis né à la fin des années 70, il y a donc forcément une part de nostalgie dans ce que je fais : je me rappelles de tous ces programmes à la télé quand j’étais enfant, et qui regorgeaient de sons synthétiques et de psychédélisme moiré. Mais mon amour pour ces ambiances et ces sons va au-delà de la nostalgie : j’essaie moins de les recréer que de les utiliser pour bâtir quelque chose de nouveau, de filtrer ces atmosphères synthétiques à travers d’autres influences comme la pop 80s, le hard rock, le hardcore ou même la house. Le fait que ces notes de synthétiseur nous évoquent à ce point les images des films qu’elles accompagnaient démontre à quel point Frizzi, Goblin ou Carpenter étaient des génies. Il faut réhabiliter ce que la musique de cette époque avait de futuriste. Quand nous avons commencé Zombi avec Paterra, nous étions entourés par des groupes de math rock et de punk, et le fait de se plonger corps et âme dans du rock progressif synthétique était comme un gros doigt d’honneur…

Comment gères-tu ce lourd héritage quand tu composes pour un vrai film, sous ton nom ou celui de Gianni Rossi ?
C’est assez facile, parce que les réalisateurs qui me contactent attendent précisément de moi que je fasse référence aux b.o. de cette époque. Ecrire des musiques de film est assez amusant pour moi, dans la mesure où je peux me laisser aller à exposer mes influences au grand jour sans peur d’être taxé de copieur – je ne fais qu’obéir au réalisateur !

Quelle différence fais-tu entre tes différents projets, en groupe ou en solo ?
Bien que The Henge, mon premier album solo officiel, soit sorti en 2007, je pratique la musique en solitaire depuis le lycée. Pour le reste, tout dépend de la place que je laisse à Paterra pour son jeu de batterie complexe. En général l’univers de Zombi est assez cohérent : quand nous avons par exemple enregistré le morceau "Sapphire", notre intention était parodique et nous avions en tête tous ces groupes de prog qui se sont mis à faire du disco FM au début des années 80 pour amorcer un virage commercial. Lovelock est un projet tout autre : il correspond à mon désir de créer de la pop music sur des fondations cosmic et krautrock… Mais il est bien possible que je sois le seul à y voir clair dans toutes ces subdivisions et que pour la plupart, tout ce que je fais se ressemble.

Tu dois être le seul musicien au monde à faire la jonction entre le revival italo disco, le metal extreme de ton label Relapse ou le groupe Sunn O))) avec qui tu as récemment collaboré. Comment arrives-tu à y voir clair ?
Je suis très à l’aise dans cette terra incognita. Je n’ai jamais aimé les genres. La Terra Incognita est ma patrie.

Stefan Goldmann, Babel producer (Trax, juillet 2009)


Stefan Goldmann est un des grands aventuriers de la techno contemporaine. Pourtant, ce frère d’école de Âme ou Villalobos fait muter le genre avec une telle délicatesse et un telle dévotion que peu se sont rendu compte de l’importance de son travail. Obsédé par les histoires secrètes de la musique, il s’est frayé un chemin discret mais excentrique dans ces régions troubles de la dance et de l’electronica où la house et la techno partagent le même groove et où tout peut débouler, un chœur de voix dodécaphonique, une mélopée de koto ou une texture numérique éventrée, sans pour autant faire dévier la dance music de son chemin de croix ni perdre les danseurs dans des labyrinthes impossibles. On l’a ainsi entendu réinventer la deep house chez Classic ou Ovum, tutoyer les cieux avec des peaktime anthems magnifiquement improbables (l’inévitable « Sleepy Hollow », chez ses amis de Innervisions, ou l’insondable « Art of Sorrow », sur son propre label Victoriaville) ou traumatiser le tout Berlin avec une des propositions ambient les plus radicales de ces dernières années, l’insondable Voices of the Dead. A l’heure où son très caractériel label Macro, capable de sortir un maxi du gourou Pete Namlook comme un inédit du génie de la disco synthétique Patrick Cowley, devient le représentant idéal d’un Berlin new-look plus tolérant et positif (celui qui aime s’encanailler sur des rythmes bizarres au Panorama Bar du Berghain) l’allemand publie la plus étrange de ses œuvres : un edit intégral et 100% fidèle à la partition du Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky, œuvre fondamentale de la musique moderne qui provoqua à sa première parisienne en 1913 un scandale si retentissant qu’il résonne encore aujourd’hui. Il était plus que jamais le moment de discuter avec cet étonnant boulimique de musique, dont l’univers dépasse largement la cause techno.

Pourrais-tu commencer par nous retracer le parcours qui t’a mené jusqu’à à la musique électronique ?
J’ai grandi à Berlin Est et Sofia, en Bulgarie. Mes parents sont musiciens, donc j’ai reçu une éducation musical dès l’enfance, mais je suis un piètre pianiste. J’ai eu un petit clavier Yamaha pour mes dix ans et je me rappelle avoir enregistré sur cassettes quelques horreurs ambient sous influence de Isao Tomita à l’époque, qui ont heureusement disparu dans le néant. Ensuite, j’ai joué de la basse avec des groupes au lycée et dans les clubs… Mes premières influences importantes en dehors de la musique électronique sont les disques de Miles Davis entre 1969 et 75, et tout ce qui s’y rapportait – Devotion de John McLaughlin, les premiers albums de Lifetime (groupe fusion explosif du batteur Tony Williams, avec McLaughlin, ndr), « Supernova » de Wayne Shorter, Jaco Pastorius, ce genre de trucs. J’étais aussi passionné par Steve Coleman, j’allais à tous ses concerts, et je jouais des standards dans les « jazz brunch »… Jusqu’au jour où j’ai proposé à mon groupe de faire de la drum’n’bass en live, parce que j’étais obsédé par Matrix, Source Direct, Photek et tous ces producteurs de drum’n’bass vraiment créatifs… J’ai commencé à m’acheter pleins de pédales d’effets pour grossir le son. Et puis je me suis pris « The Other Day » de Jeff Mills en pleine figure qui constitue encore aujourd’hui la pierre philosophale techno à mes yeux. Avec le temps, je me suis retrouvé avec un petit home studio et je me suis vite mis à composer des morceaux de house, sous influence Svek Records, Master at Work, peut-être le premier Daft Punk. Des DJs du coin à qui j’avais donné mes premiers DAT, comme Steve Bug et Dixon, m’ont donné une liste de labels, et je me suis retrouvé sur Classic (label de Derrick Carter et Luke Solomon, ndr)… Ce que je faisais n’intéressait personne en Allemagne, et le meilleur label de house anglais m’a signé tout de suite. C’était génial.

Comment juges-tu ton évolution depuis ton premier maxi ?
Il faut du temps pour trouver sa voix. J’ai eu la chance de jouer pendant plusieurs années en groupe, donc je ne partais pas de zéro. Je crois qu’en ce qui concerne la house et la techno, j’ai commencé à avoir confiance en moi en 2005, avec le maxi sur Perlon. Depuis que j’ai mon label, j’ai arrêté de me poser la question de savoir si mes morceaux sont dancefloor ou pas – je ne me sens plus obligé de satisfaire quiconque d’autre que moi. Bien sûr, j’ai toujours du plaisir à faire des bons morceaux dansants, mais je ne me sens pas prisonnier de ça comme une nécessité, comme tant de musiciens que je connais.

Tes morceaux les plus dansants, tes hits y compris, sont basés sur des évolutions subtiles d’ambiance, des mélodies très vaporeuses voire dissonnantes, des beats assez mutants: quelle serait ta définition d’un bon morceau de house ? Est-ce que ton activité de DJ te sert dans ton travail de composition ?
Un morceau de musique peut être génial de tellement de manières différentes… Je ne vois pas d’autre règle à suivre que de viser la plus pure des singularités. Si un morceau est bon, il déclenchera forcément quelque chose chez quelqu’un – dans le contexte d’un club, il dansera forcément. Un morceau qui remplit son essence te le fait toujours savoir. Dans la mesure où je fais l’expérience de ces moments quand je mixe, ça se répercute naturellement sur ma musique quand je suis en studio, et la subtilité m’aide beaucoup dans ma tâche. Il va sans dire que je suis moins intéressé par les ventes astronomiques que l’envie de recréer ces petits moments magiques.

Le nom de ton label, Macro, semble être un pied de nez ironique au genre de la « microhouse », qui désignait à une époque le courant les plus expérimental de la minimal allemande dans la presse spécialisée. Serait-ce une devise pour ta conception de la house music ?
Le terme « macro » exprime mon envie de voir les choses en grand, de ne pas faire un label ultra spécialisé de plus mais plutôt un label qu’on aime suivre parce qu’on sait qu’on sera surpris à chaque fois. Je pense vraiment qu’il y a de la place dans le monde de la house pour un label qui sort des hits dancefloor et des disques complètement barrés sous le même drapeau. Je connais le genre « micro », mais mon intention n’était pas de lancer un mouvement contre la minimal : je lui dois beaucoup, même si je n’ai jamais voulu me restreindre à ses exigences. Evidemment, je ne vais pas balancer de noms, mais il y a beaucoup de producteurs qui sont soit trop flemmards, soit trop concernés par l’usage qu’on va faire de leur musique… Ce qui nous amène au paradoxe d’une inflation monstrueuse de sorties parallèle à une déflation des idées.

En tant que berlinois, quelle est ton opinion sur les niches créatives de la ville et cet étonnant effet de standardisation qu’elle a sur la musique ?
L’effet de standardisation est mondial. Et si tu penses à un endroit comme le Panorama Bar, on t’y donne plus de liberté que n’importe quel autre club dans le monde. Il y a bien sûr trop de gens à Berlin qui empruntent le même sillon, mais ça n’a jamais tué personne de prendre la tangente. Et les gens importants que je respecte dans le milieu et l’industrie de la musique sont bien moins dogmatiques aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a quelques années.

Quels sont les artistes dont tu te sens proche ? Ceux avec qui tu aimes jouer, interagir, qui t’influencent ?
Je suis heureux d’être au bon endroit, au bon moment, parce que quelque chose est en train de se passer. Récemment, nous avons vraiment eu une nuit magique au Panorama Bar, quand Finn Johannsen, mon partenaire de Macro, a joué avec Raudive et Santiago Salazar, deux artistes du label. Nous avons dîné ensemble avant pour la première fois, tous ensemble autour d’une table, et nous avons passé un merveilleux moment. Ce sont les gens les plus importants pour moi en ce moment. J’aime aussi énormément ce que font Pépé Bradock et Ricard Villalobos, et j’aimerais beaucoup travailler avec eux dans le futur. Ensuite, il y a beaucoup d’artistes en dehors de la musique électronique, mais la liste serait trop longue.

Tu entretiens un rapport très fort avec la musique électronique « académique » et l’avant-garde en général, qui s’entend autant dans tes morceaux techno que dans les paysages électroniques de Voices of the Dead. Est-ce que tu as une formation de compositeur ?
Non. Mes études universitaires concernaient d’autres champs. J’ai pris des cours de théorie musicale, de solfège et tout ça, mais j’ai du mal à juger l’influence que ça peut avoir sur ma musique. Ma formation, ce sont surtout les heures que j’ai passées à écouter Bitches Brew de Miles Davis et Xenakis. La musique écrite ne me serait pas d’une grande utilité pour noter mon travail sur les textures. Quand aux partitions visuelles et conceptuelles des années 60 inventées par les compositeurs pour la musique électronique, elle me semblent plus pathétiques qu’autre chose : il ne s’agit que de boutons tournés en temps réel…

Ton amour pour la musique contemporaine « académique » ne se limite d’ailleurs pas à la musique électronique.
J’ai un rapport compliqué avec la musique classique académique. J’ai étudié la communication acoustique à la Technische Universität de Berlin, dans lequel il y a un studio célèbre de musique électroacoustique. Ils invitent des compositeurs à venir y travailler, et je dois avouer que Voices of the Dead a spécifiquement été conçu en réaction à cette bulle qui ne survit aujourd’hui que grâce à des restes de subventions qui se baladent dans les institutions. Après Stockhausen, tout n’est plus qu’inflation du nombre d’enceintes et algorithmes de plus en plus complexes… En tant qu’ingénieur du son, je trouve ça très amusant d’entendre des compositeurs parler d’un effet de phasing comme s’il avait été inventé par Deleuze alors que n’importe quel gamin avec une boîte à rythmes produit une musique plus avancée qu’eux en trente ans de recherche. En revanche, si tu écoutes les œuvres acoustiques de Ligeti, Boulez ou Feldman, ça reste incroyablement pertinent et moderne, probablement parce que leur modernité n’a rien à voir avec tel ou tel synthétiseur, et qu’ils étaient obligé de la trouver ailleurs. Ils m’inspirent beaucoup, et j’ai beaucoup de respect pour les gens qui savent lire la musique sur une partition comme on lit le journal et qui peuvent composer pour 40 instruments sans avoir besoin de s’asseoir derrière un piano.

Voices of the Dead demeure le plus mystérieux de tes projets.
C’est un projet de longue haleine. J’ai commencé avec quelques morceaux isolés avant d’imaginer tout un cycle de composition. Je trouve la musique expérimentale très ennuyeuse en ce moment, parce qu’elle n’est justement plus assez expérimentale : j’avais envie d’aller plus loin que tous ces drones ennuyeux... Je me suis fixé deux objectifs : aboutir à des oeuvres de musique vraiment composées avec de fortes spécificités formelles (c’est-à-dire autre chose que des bruits bizarres en liberté) et les faire confluer vers quelque chose de logique. Je leur ai donc imaginé un cadre imaginaire, qui serait le point commun de toutes les formes de musique et que j’ai ensuite essayé de représenter dans un contexte électroacoustique. C’est impossible à exprimer littéralement, mais c’est vraiment l’idée qui a ouvert les vannes de mon inspiration. J’ai joué ces morceaux au Berghain, en incorporant des synthétiseurs, des effets et une boîte à rythmes, parce que c’était le contexte idéal – c’est moi qui ai convaincus les gens du club de monter le Elektroakustischer Salon program, un endroit où les DJs peuvent jouer tout sauf de la techno pour un public qui écoute sans danser. Entendre Ricardo Villalobos mélanger du Ravel et des drones fut une superbe expérience.

Peux-tu nous expliquer ce que tu entends par ce « transitory state » (état transitoire) entre les notes qui semble t’obséder et qui te fais faire le lien entre « Stravinsky, le Death Metal et les Chants byzantins du 9ème siècle » ?
Mes goûts musicaux sont si variés en termes de styles que j’aime m’interroger sur leur dénominateur commun. En terme de microdynamiques, d’intervalles, d’équilibre formel, il y a beaucoup de jonctions à faire entre toutes ces formes de musique, même si elles ne s’appuient pas sur des définitions précises : pour le peu que je connaisse de la psychoacoustique, la science est loin d’avoir compris ces choses. Je n’aime pas la théorie, mais j’aime comprendre comment je fonctionne, pour peu que ça motive ma créativité.

Ce qui nous amène à ton projet d’edit du Sacre du Printemps de Stravinsky : qu’est-ce qui t’a attiré vers cette oeuvre majeure de la musique du 20ème siècle ?
Tant de compositeurs ont essayé d’émuler la charge scandaleuse de cette oeuvre… Mais le Sacre est avant tout une oeuvre fabuleuses. Seule la musique compte à mes yeux, je me m’intéresses pas aux implications politiques de l’art. Ce qui rendait l’oeuvre particulièrement adaptée au travail d’edit est la manière dont elle est structurée : elle est radicale dans sa variété, mais très harmonieuse dans la continuité. Le reste de la musique moderne du 20ème siècle est beaucoup plus monolithique, comme si aucune des oeuvres orchestrales qui ont suivi n’était aussi importante. Mettre mon grain de sel dans cette vache sacrée était pour ainsi dire irrésistible…

Comment as-tu choisi les différentes versions de l’oeuvre pour composer le puzzle? Techniquement, comment as-tu résolu les différences de cadence, de son et d’accordage?
J’ai passé un bon moment à passer en revue celles qui étaient disponibles pour le projet en sélectionnant les moments les plus frappants. Pour des raisons légales, je n’avais pas accès à autant de versions que j’aurais voulu. Mais la contrainte m’a été bénéfique, je pense, car sans elle je me serais sûrement perdu dans l’infini des possibilités. Si tu compares dix versions différentes du même moment, tu te retrouves avec des différences énormes… J’ai donc beaucoup fait appel à mon intuition. J’ai aussi du vérifier dans la partition que rien ne manquait, mais sans trop me focaliser sur les impuretés à éliminer, comme le bruit d’un camion qui passe à côté de la salle de concert, ou des musiciens qui ne sont pas tout à fait en rythme. Par contre, par miracle je n’ai trouvé aucune différence d’accordage : tous les orchestres étaient parfaitement accordé en 443Hz (l’accordage de référence de l’orchestre moderne, ndr). Il y a bien sûr beaucoup d’automations de volumes et d’équalisation pour régler les problèmes de transition entre les différentes balances et acoustiques des lieux et des enregistrements, pour ne pas altérer la continuité de l’oeuvre avec des ruptures intempestives. Parfois, certains instruments ressortent un peu trop à cause de la superposition de plusieurs enregistrements, mais j’ai fait en sorte que le résultat sonne le plus naturel possible.

Est-ce que tu as une version préférée?
Il y a un million de manières d’interpréter une oeuvre aussi complexe : certaines versions manquent de précision, d’autre de dynamique… Mon edit n’est qu’une possibilité parmi tant d’autres. Et dans la mesure où l’interprétation est un processus continu et pas une fonction mathématique avec un résultat déterminé, la version idéale n’existe pas.

En tant qu’auditeur, cet edit fait une expérience d’écoute très étrange, à la limite du liminal et du subliminal : on se meut d’un espace à une autre, d’une interprétation à une autre, en se rendant compte que quelque chose est inhabituel mais sans pouvoir déterminer d’où ça provient. Avais-tu prévu cet effet « d’unheimlich » (terme freudien sur la différence entre familier et étrangeté, qu’on traduit en français par « inquiétante étrangeté ») en travaillant sur l’edit ?
Oh, j’adore l’unheimlich ! Le plus passionnant dans ce projet, c’est que je savais exactement ce que je faisais techniquement mais que je n’avais aucune idée de où ça me mènerait artistiquement. Je ne le sais toujours pas. Cet edit travaille sur la perception, et rien d’autre n’est acquis que la partition derrière les enregistrements. Au-delà de ça, je sais juste que ça va bien au-delà du principe de l’edit, à savoir découper une oeuvre en petits morceaux pour la réassembler différemment. Peut-être que ça ne rime à rien. J’ai lu une interview intéressante de John Zorn dans un livre de Bill Milkowski où il soulignait l’aspect collage inhérent à la composition: « le truc de Stravinsky, ce sont les blocs, il travaille avec des blocs et il les réorganisent. Il utilise des blocs d’instruments, il les arrange selon un pattern et puis… Boom ! Il passe à une autre. C’est tout ce qui se passe dans l’oeuvre… Boom… Boom… Il change… Il change… Il rechange ». C’est une vision simplifiée du Sacre, mais suffisamment vraie pour que ça m’ait simplifié le travail. C’est là que la composition originale et mon travail d’editing interagissent le plus.

Est-ce que tu connais la nouvelle de J.L. Borgès qui s’appelle « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », dans laquelle un écrivain réécrit mot pour mot le Donc Quichotte de Cervantès ?
Bien sûr. Borgès a cette capacité de prendre une idée très simple pour tisser la plus incroyable des histoires autour. Ménard réécrit Don Quichotte sans le modifier parce qu’il se trouve incapable de surpasser la version originale. En ce qui concerne le Sacre, il serait absurde de trafiquer la partition. La comparaison s’arrête là. Je suis passé par la porte de derrière pour faire quelque chose de pertinent à partir d’un chef d’oeuvre, et j’ai réussi à ne pas tomber dans le piège de croire que je pouvais le rendre meilleur.

Moritz von Oswald, leçon de cuisine (Trax, septembre 2009)


Ça semble difficile à imaginer aujourd’hui mais il fut un temps pas si lointain où le simple nom de Moritz von Oswald évoquait appréhension, mystère et magie noire, et où cet article n’aurait pas pu exister. Car emmitouflé dans un épais manteau anonyme à une époque ou l’anonymat était une vraie vindicte politique plutôt qu’une combine marketing, le magicien de chez Dubplates & Mastering qui fut parmi les premiers à faire le pont entre Detroit et Berlin (via 2MB et 3MB, avec Juan Atkins et Eddie « Flashin’ » Fowlkes), était le musicien secret par excellence. Des années avant Beatport, discogs.com, le peer-to-peer et la « minimal techno », les mirifiques déserts de basses et d’échos de Basic Channel et Maurizio n’étaient disponibles qu’en vinyles anonymes, personne à part les habitués du magasin Hard ne savait que Maurizio était un duo, et le visage même du berlinois n’était dans aucun magazine… Jusqu’au jour où Moritz von Oswald lui même a décidé de faire dégonfler la baudruche de ce secret de polichinelle, apparaissant ici et là à découvert pour les performances de son projet minimal roots Rhythm & Sound, se laissant affablement interviewer par ceux qui venaient l’alpaguer après les concerts et signant enfin des disques sous son nom. Apparemment, il suffisait de faire le voyage jusqu’à Berlin. A l’automne dernier, à l’occasion de sa venue à la Cité de la musique avec Carl Craig et Francesco Tristano, on avait pourtant été si surpris de se trouver dans la même pièce que le maestro qu’on avait à peine osé lui adresser la parole. A l’interviewer aujourd’hui à l’occasion de la sortie premier album du trio qu’il forme avec Vladislav Delay et son vieux compagnon Max Loderbauer, toute cette époque semble un peu irréelle. Certes, Moritz se méfie toujours des journalistes et cet entretien téléphonique n’a pu se faire qu’au bout de complexes tractations en amont. Mais de vive voix, une fois passées les barrières de sécurité, on comprend mieux pourquoi l’allemand s’est si peu livré par le passé. Réfléchi, articulé et très amical, il semble soupeser les mots avec le même scrupule, la même dévotion et la même sincérité que ceux qu’ils consacre à sa cuisine d’exception. A ce moment important de sa carrière, Moritz nous parle donc, de son amour pour son nouveau label d’adoption, la répétition et la gastronomie, et il nous fait un bien fou.


Pour commencer, j’aimerais que l’on évoque la méthode que tu as sollicité pour le déroulement de cet entretien. Pourquoi exiges-tu de pouvoir lire les questions avant qu’elle ait lieu et que l’intégralité de notre conversation soit retranscrite dans l’article ?
J’aime seulement savoir ce qui va être écrit. J’aime être au courant des faits. Je veux être sûr que les faits présentés dans l’article seront justes.

Des journalistes ont trop déformés tes propos et les faits par le passé ?
Oui, c’est arrivé très souvent, j’ai dû être malchanceux. Je n’aime pas ça. Je me suis souvent rendu compte que les journalistes aiment bien écrire sur des sujets qu’ils ne comprennent pas.

Certains d’entre nous essaient tout de même de faire leur travail sérieusement.C
Certainement (rires). J’ai apprécié tes questions. On peut commencer.

Parlons donc de Vertical Ascent, ton nouvel album. C’est seulement la deuxième fois que tu sors un disque sous ton nom complet, après le Recomposed que tu as enregistré avec Carl Craig. Est-ce un nouveau départ ?
Ce n’est pas un nouveau départ, mais c’est un nouveau commencement. Et un bon commencement, je pense. C’est un très beau produit. J’aime le son, j’aime tous les morceaux, j’adore la pochette, j’aime beaucoup le label. J’adore ce label.

Tu apprécies les gens de Honest Jon’s (le label est notamment dirigé par Damon Albarn, ndr) ?
Ce sont de bons amis, on travaille ensemble depuis très longtemps parce que j’ai fait beaucoup de mastering et de mixage pour eux. Mark du label fait un travail si difficile, à une époque où seule la musique commerciale compte… Tout ce qui importe pour lui, c’est de sortir de la musique oubliée. C’est une approche exceptionnelle de ce business. Et tous les disques du label sont des objets magnifiques. Mais le plus incroyable, c’est que ça marche, le label a beaucoup de succès, et je crois que ce succès en dit long sur ce que le public désire. Honest Jon’s est un label exemplaire.

Comment s’est passé la sortie de Vertical Ascent sur le label ?
C’est moi qui leur ai demandé. Je leurs ai envoyé des pre mixes des morceaux l’année dernière, et ils ont accepté tout de suite. Ensuite je suis tombé malade, et du temps est passé. Mais la première chose que j’ai fait en sortant de la clinique fut de retourner en studio pour mixer le disque.

Quand le projet est-il né ?
Au tout début de l’année 2008, après une proposition de concert du festival Transmediale, à Berlin. Et j’ai fini de le mixer exactement un an plus tard, en janvier dernier.

Vue la nature improvisée de la musique, on imagine que vous avez du enregistrer beaucoup plus de musique que les quatre patterns du disque.
Pas beaucoup plus, en fait. Il existe un seul autre morceau. Mais on va retourner en studio très bientôt, enregistrer la suite. Seulement cette fois, il y aura beaucoup d’invités, de pleins d’endroits et de genres de musique différents, parce que j’ai beaucoup d’amis musiciens. C’est l’étape suivante, et la suite logique.

Tu disais plus tôt que tu aimais beaucoup la photo de la pochette. Est-ce que tu l’as choisie avant le titre ou après ?
Je choisi le titre après être tombé malade. Et j’avais la fusée qui figure sur la pochette dans ma chambre. J’ai fait le lien après.

Est-ce qu’on doit comprendre cette photo de fusée comme une métaphore de quelque chose ?
Bien sûr. Depuis très longtemps, la musique que je compose est plutôt de nature horizontale. Je voulais essayer autre chose, essayer d’aller vers le haut. Et c’est autant à prendre littéralement que de manière plus large, comme un état d’esprit général. Aller à la verticale, puis à l’horizontale.

Les progressions de ces quatre patterns sont pourtant paradoxales, car les variations sont très minimales. Ce ne sont pas vraiment des ascensions à proprement parler. Est-ce la raison pour laquelle tu as choisi une tautologie comme titre ? Car une ascension est toujours verticale…
Effectivement. Ces deux mots illustrent parfaitement la manière dont j’ai conçu et dont j’entends le son de ce disque.

Une grande partie de la musique électronique, pas toujours la plus intéressante d’ailleurs, fait appel à la dynamique de l’ascension. Est-ce en réaction aux systématismes de la dance music que les ascensions de ces patterns sont si retenues ?
Non, pas vraiment. Je ne fais pas de musique en réaction à quoi que ce soit. Ricardo Villalobos a parfaitement décrit la musique de ce disque, qu’il aime beaucoup : « un massage de fréquences». Ca décrit exactement mon intention.

C’est effectivement moins une musique d’harmonies et de notes qu’une musique de textures et de fréquences.
Je voulais créer des structures non-tonales. C’est pour ça que j’ai utilisé toutes ces cloches et ces ring modulator (effet de modulation qui permet de démultiplier les harmoniques du son original à travers un oscillateur, ndr) : il est impossible de savoir quelles sont les notes fondamentales des morceaux en les écoutant. Ou plutôt, c’est possible mais ce n’est pas nécessaire. Je voulais me libérer des mélodies. J’avais envie de liberté.

C’est un pas de plus vers l’abstraction, qui est présente dans ta musique depuis toujours.
Oui, c’était mon intention.

Selon toi, pourquoi les rythmes sont encore si importants dans ces constructions ?
Les rythmes ne sont pas seulement indispensables à cette musique que j’avais en tête, ils sont essentiels.

Comment se déroulent les improvisations ?
Avant notre premier concert, je tenais à ce que l’élaboration des patterns soit la plus courte possible. Nous n’avons répété qu’une fois, en suivant des patterns que j’avais composé. Ensuite, Delay et Max ont proposé leurs patterns, leurs mélodies, leurs sons, et on a tout mélangé dans un chaudron pour faire notre soupe.

Pour toi, c’est un soupe ?
Non, en fait, c’est plutôt comme un bon repas (rires). Un repas délicieux.

Comment as-tu recruté Max Loderbauer et Sasu Ripatti (Vladislav Delay) ?
Ce sont des amis, déjà. J’avais besoin de jouer avec des vieux amis. Ensuite, je savais que Delay est un très bon batteur, et que Max est très expérimenté avec ses synthétiseurs modulaires. Dès la première minute, la musique fut exactement telle que je l’avais imaginée.

Est-ce que tu les laisses te surprendre parfois ?
Oui, bien sûr. Je me surprends également moi-même. Le mixage en temps réel, l’improvisation avec la table et le effets permets vraiment des choses étonnantes. C’est un travail très créatif et très délicat.

Pendant longtemps, tes performances en live se limitaient à mixer des disques de reggae avec des effets. Revenir aux percussions, à l’improvisation, est quelque chose que tu n’avais pas fait depuis très longtemps.
Oui. Les concerts avec Rhythm & Sound, c’était un entre-deux. La musique vient avant tout du jeu en collectif, de la collaboration entre plusieurs musiciens. Ce n’est pas un retour aux sources, mais j’avais envie de laisser faire la musique vivre sa vie, de laisser les choses arriver naturellement.

C’est une manière de t’éloigner du studio, aussi ?
J’aime énormément le travail en studio. Mais j’aime improviser. Sur Recomposed, avec Carl, nous avons trouvé l’équilibre parfait entre le jeu et la composition, pour faire un bon repas. Etre un bon cuisinier, c’est mon obsession.

Selon toi, le temps réel est donc nécessaire dans toute bonne recette ?
Oui, ça m’aide beaucoup à la composition. Je pense que le mot correct est session. Pour Recomposed, j’ai improvisé sur l’ordinateur, et Carl s’occupait.. des sons additionnels. Le travail sur les boucles, les allers et retours, tout ça aurait été impossible sans le temps réel.

Tes techniques ont beaucoup évolué avec le temps et la technologie ?
Je n’ai jamais arrêté d’évoluer. J’ai toujours trouvé qu’il était essentiel de rester le plus souple possible. Mais le plus souvent, je n’utilise que mes machines de prédilection, en studio comme en concert. Et parmi elles il y a des très vieilles machines, des vieilles reverb et des vieux delay, des échos à bande.

Ce mélange des technologies rend le son de Vertical Ascent très intrigant, avec des sons à la fois très précis, et d’autres beaucoup plus vaporeux.
Presque tout est analogique sur le disque. On a du utiliser seulement deux ou trois instruments numériques. Je contrôle mieux les vieux instruments, et j’avais une idée précise du son que je voulais obtenir.

Beaucoup de musiciens laissent les machines les guider. Mais toi, tu as une idée précise du son que tu veux obtenir avant d’enregistrer ?
Oui, j’entends les sons avant tout le reste. Parfois, un événement de ma vie ou un concert m’inspirent. Une fois, nous avons joué à Daikanyama à Tokyo avec le trio, et le son était merveilleusement puissant, vraiment magique. Je me suis dis: l’idéal serait d’arriver à recréer ce son sur le disque. Et inversement, le travail de mix en temps réel que je fais sur scène est une continuation du disque.

Toute la musique que tu as enregistré est essentiellement basée sur la répétition. Ricardo Villalobos a développé toute une théorie qui relie sa musique à ses racines sud-américaine et la musique afro-cubaine. De ton côté, d’où provient cette fascination pour le minimalisme et la répétition ?
Pour moi, tout est lié à cette expérience si intense que procure l’écoute prolongée d’une boucle ou d’un motif répétitif. L’éclosion de cette intensité, c’est ma sensation favorite en musique. C’est bien sûr déjà présent dans le Boléro de Ravel, qui est la toute première oeuvre à utiliser la répétition de manière systématique, et que nous avons utilisé avec Carl comme base pour notre Recomposed. Tout est déjà là.

Quel âge avais-tu quand tu as découvert le Boléro ?
Je n’étais pas très vieux. Je l’ai découvert à peu près au même moment que La mer de Debussy, que j’adore, et que j’ai vu jouer en concert quand j’étais enfant. La mer n’est pas basée sur une boucle, mais c’est un paysage sonore fabuleux. J’aime beaucoup toute cette période de l’art, avec l’impressionnisme, tout ça. C’est un peu le début de tout, pour moi.

On dit que Debussy a inventé la musique moderne, notamment parce qu’il s’est inspiré des gamelans de Bali et Java.
C’est vrai. Et Ravel était inspiré par la musique espagnole, parce qu’il avait grandi au Pays Basque.

Crois-tu que tu pourrais faire de la musique qui ne serait pas basée sur un motif répétitif ?
Oui, je pourrais. Et je ne pense pas que la musique que l’on joue avec le trio soit vraiment basée sur des boucles.

Elle est tout de même hypnotique. Et, à sa manière, horizontale.
Tu trouves qu’elle horizontale ?

Comparée à certains territoires de la musique expérimentale et improvisée, où les évènements surviennent de manière plus chaotique, oui. Elle est continue. Elle n’a ni début, ni fin.
(Rires). Je suis assez d’accord. Mais surtout, je pense que c’est l’auditeur qui a raison. Donc tu dois avoir raison.

Est-ce que la musique que vous jouez avec le trio a encore un rapport avec la dance music ?
Oui, complètement. Une rapport très fort. Le tempo du disque oscille autour de 120BPM. D’une certaine manière, le moteur de la musique est dance. Ce n’est pas un disque de dance music, bien sûr, mais c’est présent. Carl joue souvent le premier pattern dans ses sets, et ça marche très bien. La dance music m’intéresse toujours beaucoup.

Est-ce que tu te sens encore à l’aise dans le contexte des clubs? Est-ce que les gens dansent ?
Parfois, certains dansent. J’aime quand ils dansent, bien sûr.

Tu habites toujours à Berlin, et il s’y passe toujours énormément de choses. C’est un contexte important pour toi ?
Je suis toujours, toujours intéressé. J’aime me tenir au courant. J’aime aller aux concerts, j’aime aller dans les clubs, j’aime suivre ce qui se passe. Et Berlin est toujours un endroit passionnant, et je dis ça sans patriotisme (rires)... même si du fait de ma maladie je suis moins au courant qu’avant.

Tu es l’une des figures les plus respectées et les plus influentes de la musique électronique mondiale. T’arrive-t-il d’y penser ?
Non, jamais.

Pendant de nombreuses années, tu étais une sorte de fantôme, un mythe après lequel personne n’osait courir. Et du jour au lendemain, tu as accepté de te laisser prendre au photo et tu sors coup sur coup deux disques sous ton propre nom. Ca a tout de même dû être une sorte d’événement dans ta vie ?
J’ai seulement arrêté d’y penser. A une époque, c’était important, et puis un jour je me suis rendu compte que ça ne l’était plus. Je n’ai jamais voulu être dogmatique à ce sujet.

Tant de jeunes musiciens actuels sont obsédés par faire de leur vie une partie de leur autopromotion... Tu vis dans une autre réalité.
Simplement, nous avons toujours souhaité laisser la musique parler à notre place. Ca s’est fait tout seul. Maintenant que plus de gens travaillent avec moi, j’ai arrêté de m’en faire.

Squarepusher « Pierre de Rosette » (traduction parue dans Trax, novembre 2008)


Depuis qu’il a débarqué dans nos vies un beau jour de 1995, Tom Jenkinson a pris plus de détours et de passages secrets que n’importe quel autre tête brûlée de la musique électronique mondiale. Bassiste surdoué formé sur les bancs d’une école de jazz puis traumatisé par le breakbeats hardcore des premières rave jungle, il a confronté sa bête Squarepusher à tous les genres, et tous les défis : la jungle stochastique, l’IDM hyper mélodique, les bidouillages early electronics de ses ancêtres des BBC Radiophonic Workshop, le jazz électrique pur et dur… Et toutes les formes possibles et imaginables de pop music qu’il fait muter à l’envie via sa maîtrise prodigieuse des machines, des instruments et de la composition. Son nouveau Just A Souvenir pourrait pourtant bien marquer la première vraie rupture de cette carrière sinueuse, puisqu’il est le premier disque de Squarepusher à ne ressembler à rien d’autre qu’à du Tom Jenkinson. Mise en musique d’un concert imaginaire auquel il aurait assisté en rêve, il est comme le condensé multicolore de quinze ans de boulimie musicale, une Pierre de rosette futuriste, radieuse et bienveillante. Peu enclin à parler de sa musique, Tom Jenkinson nous fait le généreux présent d’une auto-analyse complexe, diligente et minutieuse de son art et de sa carrière. En voici la version complète, en version brute et originale.

Your musical path has turned such serpentine detours to become so amazingly unpredictable that it seems that only your person and personality control it: how do you value the term "auteur"? Do you view yourself as one ?

I have personally only heard the term "auteur" in the context of film. Maybe it has different nuances in French? Anyway, as I understand it, a film director is an auteur if they exercise such a degree of control over the work that it embodies their own creative vision. I suppose in the context of film production, where many people contribute to the final result, it is an interesting though I dare say controversial notion. Immediately, one thinks about the story on which the film might be based and also screenwriters, a fair few of whom will have doubtless found this notion more than a little condescending! More seriously though, it does raise the interesting question of exactly why we should care about the director's idiosyncratic methods of direction or his vision when appraising a film. Does the film not ultimately detach from whoever made it? How much sense can be made of it by specifically considering any of the people who worked on it and their respective inputs? It strikes me that this is the problem of gossip, so to speak, where information about the author of any work of art is seen as being critical in it's interpretation. Possibly conjoined with my shyness about talking about myself and concern to maintain my privacy (which isn't actually that hard really!), this is one of the things that makes me reticent to do interviews and so on. Quite often, at least in the English music press, strong emphasis is put on the artist's personality and quirks. Yet such information only seems to illuminate the work in a dim and foggy manner. Certainly the links from anecdotal information about an artist's life to their work are a maze, a hall of mirrors that is constantly changing in design. Yet the gossip and the intrigue are presented anyway. Of course, most people will find the fact the Mozart enjoyed obscene humour and wrote filthy letters to his cousin more interesting than a technical analysis of his compositions, because it shows the everyday part of the man that we (maybe?) can empathise with. It's just that I honestly have no taste for such things. I generally find biographical information about artists quite depressing and on the rare occasion when isn't, it still doesn't seem to tell me anything valuable about the internal content of their work. Thus it would seem somewhat hypocritical to indulge in revealing the nitty gritty of my life. In the context of film criticism, I imagine the concept of the "auteur" still has relevance. For me, a person who for his entire career to date has worked alone, it is less obvious as to how it should be applied -the auteur notion isn't needed to prioritise the creative influence of the contributors as there is only one person involved, namely me. Of course, nothing about working alone vouchsafes the manifestation of a personal vision. It may even make it harder to do. I have no group or entourage to prevent me from being influenced by the work of others. My ivory tower it is readily assailable! If a 'vision' is allowed to be fragmented and verging on incoherence, then yes I would say that my work is a manifestation of my vision -but maybe more like the vision of a compound eye than a conventional human one!

Is "just a souvenir" an actual concept album? reading your description of that dreamy concert you attended to in your mind, it seems to be so...

Certainly in the sense that it was an attempt to realise the work of a fantasy group, but that seems a rather thin conceptual gloss compared to what I think of as the grandiose 'concept albums' of the 1970's. And if "Just A Souvenir" is a concept album, then most of my other records are aswell. Themes are often involved with my work, I just generally choose not to talk about them.They can be technical, harmonic, abstract and so on. But in that sense, 'concept' seems to be reduced to something more like 'choice', which certainly sounds less austere. I suppose that my work generally inhabits a sort of quasi-conceptual grey area. I feel strongly against delineating a correct interpretation of my work, which in the past has lead me to be sceptical about revealing anything significant about how my records are made and my thoughts whilst making them. I have tried to foster the listener's ingenuity by deliberately keeping the background information ambiguous. I suppose this relates to my personal preferences -as I said above, I'm not a fan of immersing myself in the peripheral details pertaining to a piece that I find interesting. I prefer the products of my imagination, and that is what I try to encourage people to use when trying to make sense of my work. Maybe in the past I have gone too far regarding my reticence to elaborate on the context in which my work is made. Certainly it seems that information about the creative context abhors a vacuum. And the listener's imagination I have tried to foster has come up with ridiculous things -claims that I am a schizophrenic, a junkie, have aspergers syndrome -all total rubbish obviously, but also an amusingly bleak result to my perhaps unworldly optimism!. So I am compelled to supply some information to try to stem the flow of absolute nonsense that some people feel compelled to generate! As such, the account of my dreamy concert is a concession to my previously tight-lipped attitude.

It also seems that with this new record, you are really trying to achieve the dialectic synthesis of something unheard, rather that mingle your two musical backgrounds - being your academic training as a musician and the electronic music that you once said you started as a "hobby" - as well as the various things you love - hardcore rave breakbeat, electric jazz, old school electronic manipulations - like you were still doing until "Hello Everything". Would you agree with this? Could we hear the music of "Just a Souvenir" as some kind of a concentrated, or say, dialectic, harmonious squarepusher? Or even : the first Squarepusher record to display a full Squarepusher style ?

Yes, I think that would be quite a good way of putting it. In fact, that would stand as a more robust conceptual basis for this album. I have long found the idea of the dialectic interesting regarding my analysis of my work because on so many levels it seems that opposing or at least differing forces produce principal elements of it. You have highlighted one -though I should say that I was never formally trained as a musician -nonetheless, it is true that the more traditional aspects of my musicianship tied up with playing and performance are in constant tension with my fascination with electronics and automation. Though they use quite an informal take on the notion of dialectic, the following few examples I think illustrate conflicts and what possibly results from them.
1) Genius v. Idiocy. I am quite honestly obsessed with being as good as I can be at whatever I put my hand to. I hate the word 'genius' loaded as it is with romantic stereotypes of tragic madmen-artists, but if one could chose to be a genius then I would; as it stands I will do what I can to get near to it with hard work. And yet, I rejoice when it all falls to the ground aswell. Not rage but gallows humour overtakes me when I accidentally delete the best take I have ever recorded of my playing (yes it did happen!) I also feel compelled to ridicule my virtuosity from time to time. It feels very satisfying to follow a beautifully played guitar solo with a gesture of sarcasm. In a coded manner, this tallies with my juxtaposition of brutal electronic sounds with delicately played instruments.
2) Autonomous v. instrumental influence on compositions. This could be described as the conflict of the influence of tools [physical entities such as instruments, recording devices etc] with my decision making process. Now, I would not say that the tools necessarily affect the course of composition, but in my experience it is common that they do. An example of this might be: say I have written a melody line with the intention of playing it on a particular guitar. If I decide to use a different instrument on which to play that melody when I come to record it, I might find that the different sonorities of the new instrument will impel me to adjust the structure of the melody line. I might choose to emphasise different notes, remove or re -order certain notes and so on. Even if the melody is left unaltered, subtle differences in the note-to-note emphasis can sometimes be detected according to the new instrument's character.
The point is that a sort of feedback from the instrument to the composition seems to be possible. That effect will be pronounced in my case given that I am composing and recording at the same time rather than farming out the realisation of my compositions to a group or orchestra. That is to say that by virtue of associating the writing of music with the recording of it very closely, feedback between the domains can be quite pronounced. Although a hard "autonomist" might insist that it is still ultimately me making all of the decisions having taken account of the feedback, it remains hard practically speaking to predict what this feedback will be. As such, the feedback seems to embody a very subtle yet significant influence in tension with my autonomy.
3) Autonomous v. technological influence on compositions. Another sense in which the tools might in some way be said to interfere with autonomy, or perhaps more pertinently a composition's "originality", appears when one considers that technology makes new tasks possible. In that sense then, technology not only assists us but is potentially constitutive of our tasks. Thus when we mention a task, we may be implicitly referring to a technology, as we might when we talk of travelling to a certain far away place in a short time -clearly that can only achieved with the use of some sort of technology. We are ready to make the assumption that it is possible, but that possibility is only made available to us through our applied knowledge.
So we could picture a range of possibilities, things whose potential occurrence are and always have been possible, but nonetheless require applied knowledge for their realisation. Thus, I am not saying that it is logically impossible for a composer to conceive of a sonic aesthetic before it is practically speaking possible to realise it. It is partly such imaginings that have impelled technical progress. Nonetheless, it seems likely that a notion of what is currently possible will have some bearing on what a composer can imagine. It is in this sense that I compose in collaboration with history, technology, culture. It seems that however much I might like to make a break with the past, so much is always set in advance!

The main emphasis of "Just a Souvenir" seems to be composition: would you agree with this? And : how do you compose ? Do you have your bass and keyboards under hand or do you use score paper ?

Although it is fundamentally quite difficult to separate the composition itself from the means of its articulation, broadly speaking I think you are correct -my work has been moving in the direction of emphasising composition over construction. At times I have used a composition as a means of testing out an idea about technical realisation. For example, on "Hard Normal Daddy" I used a couple of compositions that I previously played versions of in a band that I was in a few years before. The fact that the composition was roughly set meant that I had a solid basis with which to experiment on how it might be realised. Not that many works of mine have actually come about in this manner; it is more conventional for me to compose, realise and record simultaneously. On "Just A Souvenir", the situation has flipped around in the sense that the means of articulation on this album are set; very little experimentation in terms of sound production or manipulation went into this album. Rather, I draw on a set of consolidated techniques developed over the course of my career. In that sense, it is very pertinent that you say it might "display a full Squarepusher style" -certainly it is the first time that I have largely removed the processes of sonic experimentation from the overall process of making a record.
Regarding how I compose, I will restrict the answer to this album only. In the main I used a combination of empirical technique (seeing what sounds good) with certain formula based ideas. When I say formula, I mean that I like to embody numerical relations in music. A simple example is in a polyrhythmic structure where phrases are superimposed on each other such that interference patterns are generated. Or in a harmonic context, certain intervals are specified in relation to a favoured group of numbers. I stress that my formulations are ad hoc and correspond more to numbers and groups thereof that I find interesting and satisfying to behold rather than them being part of some sort of austere theory. Music in that way often seems like an aesthetic department of mathematics.

The sound of the album sounds quite rough - the processing of the drums is scarce, and there's few cutting up (except on "the coathanger") or DSP wizardry: was it a voluntary decision to let the compositions stand in their own right? Or have the record sound like it was recorded live by an actual band ?

It is interesting that you make a clear division between processing and composition. Of course, they are separate concepts in abstract, but when they are embodied in a piece of music, I find it hard to cleanly separate them. Sometimes the patterns of processing can impinge strongly on the domain of composition. And it is not as if a composition always has the same import regardless of the instrument on which it is played. I see these areas as having porous boundaries, not impenetrable walls. But yes, I wanted it to sound possible in contrast to the sense in which I have often opted to produce impossible music. By that I mean, as you say, as if it was recorded by a live band, or at least theoretically could have been. I don't think it would be logically impossible for a band to play "Go Plastic", but as I put so much emphasis on the 'inhuman' strengths of technology in that record, it would be incredibly difficult. Maybe incredibly pointless aswell!

You said you dreamed of watching a band play the music of the record: have you considered actually play the songs of "Just a Souvenir" with a full band and make your dream happen ?

Yes. In fact part of the original plan that I subsequently abandoned was to make the record and then assemble a fantastic group of front men to play it for me. Also part of the idea was that I would deny any connection with it. I crave the idea of a fresh start without all the stupid baggage of "Squarepusher-the-maveric-drum-and-bass-artist." Unfortunately Squarepusher-the-maveric-drum-and-bass-artist is also pathologically conscientious and pretty dismal at lying. In the end I just couldn't face setting something up that I would have to systematically lie about indefinitely. Incidentally, "A Red Hot Car" and "Do You Know" are similar both in respect of them involving a plan for them to be fronted by an invented artist and that the plan was subsequently abandoned. For my upcoming tour, I will be using a drummer on stage to help me make live performances of some of the pieces from "Just A Souvenir" and others. I am in the process of selecting musicians for my fantasy group. But I don't really like talking about things I have actually done, let alone things that I've not yet done! I'm going to shut up about that for the time being...

Is exploring thorough composition and musicianship a way to evade the too easy and infinite possibilities of electronic music?

One of the reasons that I have explored some of the more esoteric or, less politely, more irrelevant areas of electronic music is to present myself with a challenge. As you say, it can seem very easy to make electronic music and so in order to keep it interesting I have been impelled to investigate more obscure methods of realising electronic compositions. Of course, it would be strange to equate the level of difficulty of a method of making music with a corresponding level of musical validity. This is one of the mistakes that in my view is typically made in so-called "musician's music" -just because it takes years of practice to play at that level, it doesn't mean that it's going to be worth hearing. I have to say that to me playing a conventional instrument is a practice that is worthwhile in itself. Even if I am not in a phase of recording, I always keep up my practice on selected instruments. Obviously, that helps me retain fluency, but as I said I also just enjoy playing for its own sake. Fluency is very much a thing that can be developed with electronic means too, but it does seem odd to make an electronic piece of music but not record it. In that sense I find electronic music production a little more end-directed than the more traditional means. Something of the "craft" element of traditional musicianship really appeals to me. Using electronic instruments may also be seen to incorporate an element of craft, but their inherent complexity and greater available range of options does ultimately seem arbitrary, unlike the limits of conventional instruments which are designed around the limits of the body. Maybe this detracts a little from them seeming like something you could really spend a lifetime developing a nuanced approach to in the same way as a guitar or a violin. It is almost as if the lack of clear limitations constitutes a bigger limitation in itself. Certainly, if an instrument embodies an infinite aspect in any obvious way then it will be hard to pin an identity on it. But then that also suggests why I always come back to electronic means too: the unfathomable is fascinating as much as it is abhorrent and that which is devoid of identity may just be waiting for one to be furnished.

Could you explain further the term "ultra" that you seem to really affectionate? what would be the best definition of "ultra" music? Of an "ultra" band?

It seems that words can be appreciated on an aesthetic level; the way a particular word looks in print and the way it sounds affect my feelings about it. Certain words I find disgusting for those reasons and not because of their meanings. Some words are very funny. 'Ultra' seems to me a very clean word, the vowels open and close it well and it has a pleasing consonant structure in the middle. It also has a compact and purposeful look. Beyond that, as an adjective it suggests going beyond norms and conventions, although the nuance that I am fond of correct or otherwise is describing an entity that is most fully itself, or in its most fully realized state. Bearing that in mind then, ultra music would be something where the varying dimensions of freedom are explored if not fully then very extensively. Of course, not such that the dimensions of technicality become an end in themselves, but such that they are ready to be facilitate fluent articulation of the composition. As I said earlier, I am wary of music that is so technically oriented that it comes to resemble a sport more than an art. Though I would shy away from saying that a piece of music could have any sort of absolute value or meaning, I don't endorse a notion of entirely free-floating meaning either. A specific piece of music provides a specific occasion for attributing meaning and though those meanings will vary through time and person, they will surely be offered a particular hue according to the content. With that in mind, some music seems to mean nothing or seems incapable of housing any interpretation. As I see it, some music that is heavily biased towards emphasizing technicality seems assessable only in a sort of "box-ticking" way. It suggests a listener with a clipboard rather than with a tear in their eye. With that in mind the burgeoning tendency to give music a 'score' in record and concert reviews seems to me a paradigm of laziness and insensitivity. Or maybe it is some brave new level of brute realism that I am too sentimental to comprehend...

Do you feel comfortable and at your place playing in jazz festivals, such as that event you played at cité de la musique with evan parker? What is the difference playing in front of jazz audiences and rave audiences? Do you make a difference?

A swift glance over the crowd at the event you mentioned suggested to me that maybe they were not a 'standard' jazz crowd. But I think the difference is not so much in the people that compose the audiences, but rather in the codes of conduct that prevail in each context. Obviously the codes are contingent and can easily be broken, but they are surprisingly persuasive. A bunch of people that you might expect to be quite rowdy at a rave can be quite well mannered when they attend a jazz or classical music concert. With that in mind, I choose the context according to what music I am playing. The seated, hushed context was appropriate to my solo bass pieces that I played that evening, as they feature very subtle passages that would simply be lost in the general hubbub and air conditioning racket at a rave. I know that from experience. On the face of it, the seated and hushed type event seems a little stiff and straightjacketed, putting quite a demand on the audience in terms of their behaviour. Obviously the advantage is in the sonic detail available. But is it not the case that the rave type event comes with its own possibly less formal, more diverse but nonetheless equally persuasive codes of behaviour?

You were considered a musical maverick at a time, both by fans of electronic music and by others, and you now appear of the British national TV as well as posing full frontal on your record covers : do you think your status has changed with years? And if it did, is it for the better or the worse?

I think that you may be better positioned to judge my status than I am. Whatever status is accorded to me seems like an idiotic simplification, experiencing myself as a living being and not a 1-dimensional stereotype. That has been a strong motivation over the years -to get people to eat their words about me. I refuse, naively or otherwise, to be a homogenous entity that is conveniently packaged up and sold to sleep walkers. I refuse to let you sleep!

It seems that in your twelve year (or so) career, you've been accommodating your melodic and sonic obsessions with whichever arrangements you could find in your mind : do you agree ? And according to this, what would be the essential difference between, for instance, two emotionally intense songs like « Tensor in Green » and, say, « Tundra » on « Feed Me Weird Things » ?

Yes, I do agree -the way I would put it would be to say that I have presented reasonably consistent harmonic and melodic notions in different stylistic contexts. As far as essential differences, I would be nervous to commit entirely as I don't see myself as the arbiter of interpretation of my work. On a technical level, and maybe that is where the majority of the difference lies, there is no midi sequencing as such on "Tensor In Green", whereas the bulk of the content of "Tundra" is sequenced. There is also no use of samples on "Tensor": the sounds predominantly come from guitars and basses processed in various ways and the drums are from a proper kit played live rather than the drum samples used on "Tundra".

The kinds of harmonic, complex scales and rhythmic complications you seem to affectionate so much are often associated with quite unpopular genres of music - prog rock and fusion jazz - that people often discard as "musician's music". would you say you also work for a rehabilitation of what can be good in those styles?

I think that is true; I think those genres are rightly dismissed because of the excesses of instrumental indulgence which seem to exclude anyone who isn't in the virtuoso club. But in dismissing them, many valuable musical ideas are thrown away too. Over the years I have developed a form of listening which tries to exclude the elements that I find uninteresting and focuses on the bits I do. Hence I can tolerate listening to at least some prog rock and fusion because in amongst the pompous nonsense are often some very interesting ideas. As far as rehabilitation goes, maybe the terms "prog rock" and so on are themselves perpetually tainted -but of course that is why it is interesting to smuggle key elements of those styles into other contexts. It highlights, hopefully not too cynically, how susceptible people are to basing their 'taste' on the social image of various musics. In that era, virtuosity was brought to the forefront of music-making. I don't see anything wrong with that in itself. Virtuosity is similar to having a good vocabulary and can maybe be similarly aggravating to talking to people who have "swallowed a dictionary" -there seems to be a flatly superiority-oriented attitude afoot. A sort of unsophisticated sophistication. Maybe it is so clever that it's stupid. Yet having a good vocabulary doesn't mean you have to use it all the time. Obviously a tendency to excessive musical boasting has lead virtuosity to be pretty much shut out of popular music. Yet that is also in its way a very unsophisticated response to unsophisticated sophistication. To my mind, like a good vocabulary, a highly developed technical skill on a instrument allows a more nuanced way to expressing ideas. With that in mind, virtuosity's musically illegal status is literally stupid. So, I like to put virtuosity to what I see as good service, ie not in the name of making people awestruck at my ability but in order to escape the mind numbing bluntness of now de rigueur unskilled musicianship -to articulate musical ideas freely.

Also, you are more and more coming back to the bass guitar, which has become more and more present again in your records. do you think you're working for a rehabilitation of this instrument as well? And may I ask who, beyond an obvious Jaco Pastorius, who are the bass players that you still value as truly innovative musicians ?

Well, maybe. Innovative bass players often seem to me bound to some sort of notion of being "entertaining", as if a solo always has to end with a smile and sparkling teeth. Many players seem to find it hard to really fuse musical integrity with technical skill. One bassist I really like is the chap in 'Lightning Bolt'. He has sound, technique and content very well balanced.

After covering a song by Joy Division, have you ever considered recording your own versions of jazz or jazz rock standards or do you just not care about those? (I must say i would love to hear what you could do with a song by the Mahavishnu Orchestra or Return to Forever…)

That is something I would love to do. There are lots of lovely ideas like that but I feel impelled to prioritise my own compositions at the moment. One day maybe, when I have a big studio with sofas and views across the countryside and lots of lovely high quality equipment and an engineer -in short when I've run out of ideas.

When writing and recording music, do you ever think of the people that will listen to your records? And to the "audience" of followers that they might constitute?

I try not to, not out of disrespect for anyone but more so that I can try not to be diverted away from the ideas I am interested in. Bearing in mind what we said about prog rock and so on, certain social pressures can coerce musicians away from more contentious and unfashionable terrain and I don't think I'm immune to this. So I tend to isolate myself so that I can make thorough development of ideas without them being dismissed because they initially resemble some musical anathema. If anyone likes what I've done, it seems more of an achievement if I have followed my own path rather than if I had fulfilled some more generally approved compositional route.

A question that i'd love you to answer: do you care about the present musical world? And if yes, do you like it?

I don't particularly care about it really.

Do you think your music and records react in any way to the present world ?

I think there is one clear way that I see my work reacting to the present world. Something I detect as being prevalent is end-directed thinking. Thus, all human activities must have a purpose in order to be seen as worthwhile, which seems quite an industrialised state of mind. If an activity doesn't produce anything, and particularly if it doesn't produce any money or circumstances that are conducive to making money, it is viewed as secondary, irrelevant or even suspicious. It thus tempts me to try to construct music that is beautifully pointless; that celebrates an activity for the sheer experience of doing it. What is the point of a life anyway? Surely there is no actual point to being alive? Surrounding the end-directed mind set is a shadowy pointlessness, and that if anything is what I want my music to celebrate. Not nihilism, which is a mirror image of thoroughgoing instrumental reason, but an appreciation for activities in themselves. I try to make music that cannot be co-opted to a fashion statement because it is shot through with surface-image contradictions.

Eventually, a question i’ve been dreaming to ask you for a long time : are we allowed to detect irony in some of your music?

By all means! The trick at this point in musical history is not to be consumed by it.



[p.s. Thank you for these questions -I really enjoyed answering them. I hope my answers are useful for the piece. Please, if you need me to clarify anything, get back in touch.
All the best, Tom.]