Qui capte encore quelque chose à Goldie ? Superstar incontestée de la drum’n’bass après les premiers ébats de Rufige Kru et la sortie du chef d’oeuvreTimeless en 1995 , Clifford Price a plutôt marqué les mœurs anglaises pour ses frasques à répétition ou ses apparitions dans le soap opéra EastEnders.Quinze ans après la fin de l’âge d’or du crew Metalheadz, le beaulad aux grillz en or n’est toujours pas sorti des limbes musicales où l’a conduit le malaimé Saturnz Return (ses trois derniers albums sont sortis dans l’indifférence générale) mais on peut le voir tous les jours à la télévision britannique dans des émissions plus ou moins ignominieuses de télé réalité (tapez Goldie dans Youtube et browsez au hasard, pour voir). Si aucun retour en grâce de la jungle ne sourd encore réellement à l’horizon, il a pourtant l’air de se porter comme un charme : il vient de signer un mix sans concession pour la fameuse série Fabriclive, il prépare un gros reset du catalogue Metalheadz et il travaille tous les jours sur son prochain album. Fidèle à sa réputation de chien fou mégalo et de volcan à paroles, il nous parle à 300 à l’heure de ses dix vies parallèles, la main sur le crâne.
Comment vas-tu ?
Bien ! Je rentre du yoga bikram, je fais ça depuis un peu plus d’un an. Ca fait du bien à l’esprit. Jusqu’ici, j’ai mené ma vie de manière un peu démente. Je suis dans les derniers jours de mon âge d’or, mais veux être encore heureux et en bonne santé dans trente ans.
Tu es en plein dans le rush de la promo de ce mix Fabric… Est-ce que ce retour sous les projecteurs représente quelque chose de spécial pour toi ?
J’ai 45 ans et j’ai le privilège de pouvoir jouer ma musique à des gamins qui ont la moitié de mon âge sans être obligé de jouer de la merde commerciale qui ne me ressemble pas. C’est une position incroyable. La musique que j’aime et que je joue depuis le début de ma carrière n’a pas eu à devenir commerciale, c’est elle qui a redéfini le mainstream autour de 1996, 1997 sans presque rien céder de sa nature deep, sombre, intense. Et même si tout ça s’est écroulé très vite après, la musique existe toujours. En me retournant sur les débuts de Metalheadz quinze ans après, je ne peux m’empêcher de trouver cette musique fraîche et moderne. C’est pour ça que j’ai terminé le mix par « Timeless » : ce n’est pas un manifeste, l’évidence est dans le titre. Si je crois encore à cette musique, c’est qu’elle me ressemble. Mon expérience, mon système de valeurs, mes croyances, tout y est. J’ai passé ces trente dernières années à consacrer ma vie à l’art urbain, au graffiti et à la musique, j’ai vu venir et repartir un nombre incroyable de mouvements et d’idées, et je connais la valeur de celles en lesquelles je crois. Je suis bien conscient que cette musique n’est plus faite pour parler à tout le monde, mais elle parle encore à certains. Et je sais que dans la nouvelle génération, il y a plein de gamins qui ne la connaissent pas encore.
Tu es un personnage très complexe, surtout pour les Français. On ne connaît presque rien de ton existence médiatique à la télévision, par exemple. Le peu qu’on en connaît semble pourtant inconciliable avec ton refus absolu du compromis dans ta carrière musicale…
Mais ma vie entière a été une longue émission de télé réalité! Depuis mes 3 ans jusqu’à ma majorité, les services sociaux ont rédigé des documents sur le petit Clifford Price, sur les jouets qu’il cassait dans sa chambre, sur ses chagrins d’amour. Mon identité, j’ai commencé à la chercher à l’âge de 18 ans, en traînant dans les entrées d’immeuble. J’ai vécu ma vie à l’envers. J’ai dû m’inventer ce personnage qui s’appelle Goldie pour pouvoir m’amuser dans ce Truman’s Show qu’est ma vie. Et je ne me prive pas. Je sais que je suis dur à suivre – je danse, je fais le chef d’orchestre, je fais l’idiot. Pourquoi je le fais ? Parce que je peux. Et le vrai Clifford, quand il rentre chez lui, il peint, il s’enferme dans son studio pour enregistrer des nouveaux morceaux. Il est au milieu de sa vie, il est conscient de son existence et responsable de ses actes, et il essaye d’être le plus heureux possible même s’il a parfois du mal à tenir les rênes. Des gens ont contrôlé ma vie tellement longtemps, je suis encore en train d’apprendre comment faire.
Comment décrirais-tu ton Fabriclive ?
C’est une célébration, une fête : je suis encore capable de mixer à l’âge de 45 ans. Et j’ai tout fait pour qu’il soit le plus dynamique possible. Ca passe sans d’un extrême à l’autre. C’est l’histoire de ma vie.
Comment expliques-tu que tu te sois retrouvé aussi pleinement dans un style aussi spécifique que la drum&bass?
Je ne sais pas bien pourquoi, mais c’est un genre qui établit un lien très singulier entre le musicien et les machines qu’il utilise pour composer. Ce lien ne saurait se résumer à la technique. J’ai toujours été fasciné par le fantôme dans la machine. Quand j’écoute un morceau comme « Right Now » de S.I.N. & Mutated Forms, que j’ai mis sur le mix, il y a quelque chose qui se dégage de son euphorie qui n’a rien à voir avec le beat, avec les nappes, ou les réminiscences 90s que tu peux y entendre et éventuellement décomposer avec ton esprit rationnel. C’est l’inconscient du morceau. Bien sûr quand j’en ai parlé avec eux, ils ne voyaient absolument pas de quoi je voulais parler (rires). La résonance de la musique, elle nous dépasse tous. Elle me dépassait déjà quand j’ai mélangé des bouts de Phil Collins et un amen breakpour mon tout premier morceau : tout ce que je voyais, c’est que ça rendait les danseurs fous. Personne n’est plus important que la musique. Ni moi, ni Roni Size, ni Andy C : la musique est déjà là, immense et majestueuse, et nous sommes seulement là pour essayer de l’animer. Les gens qui ne s’intéressent qu’à la nouveauté, plus tu leur donnes, plus ils en veulent. La durée d’attention moyenne de la génération iPod est de 2,6 secondes par nouveau morceau. Modestement, j’essaye de leur ouvrir un peu l’esprit.
Le public qui vient t’écouter jouer dans les clubs aujourd’hui, de quelle manière est-il différent de celui des années 90 ?
Il se demande qui est ce vieux geezer qui joue cette vieille musique bizarre. Je m’en fiche pas mal. Je ne suis pas du genre à regarder ma montre et à m’inquiéter du dancefloor killer que je dois jouer tous les quarts d’heure pour ne pas perdre l’attention des filles bourrées au premier rang. Des bangers, j’en jouais toute la nuit quand j’étais plus jeune, je sais ce que c’est. Aujourd’hui je suis plus vieux, plus sage. Je connais ma place dans l’histoire de la musique et ça me satisfait amplement. J’ai été écouter Derrick May jouer la semaine dernière, et c’était fabuleux. Il n’a jamais rien changé, jamais trahi ses idéaux musicaux. Aujourd’hui, il profite du retour en grâce de la techno, et ça me fait très plaisir pour lui. Il éduque les gens tout en leur donnant du bonheur. J’espère pouvoir en faire autant. Aujourd’hui ou demain, on verra. De toutes façons, tout le monde joue déjà les mêmes morceaux. Jouer quelque chose de différent, c’est un sale boulot, mais quelqu’un doit bien s’en charger (rires).
A une époque, la drum&bass était la musique la plus branchée du moment…
Même Tiesto ou Paul fucking Oakenfold en jouaient, ouais. Aujourd’hui, tout le monde joue du dubstep et a oublié qu’à une époque, c’est à nous qu’on faisait appel pour remixer Garbage, Bush, Sly & Robbie et toute cette merde. Aujourd’hui, on demande à Skream. Je connais. J’ai commencé ma carrière sur un tsunami de hype, derrière Soul II Soul, on me paye encore pour aller boire du champagne à New York avec Michael Douglas et Catherine Zeta Jones. Les gens du dubstep apprennent la musique à leur public, et les plus intelligents de ce public savent d’où le dubstep vient. Je suis très enthousiaste pour toute cette merde. Même quand Rupert (Parkes, alias Photek, ndr) ou Lemon D font des morceaux dubstep pour se remettre dans le coup. C’est eux qui ont raison, parce que cette musique leur appartenait avant d’exister. Quand j’ai fait « State of Mind » sur Timeless, tout le monde pensait que j’étais dingue parce que c’était un morceau downtempo. Aujourd’hui, personne ne m’obligera à faire un morceau dubstep si je n’en vois pas la nécessité dans mon cœur. Combien de fois m’a-t-on dit que je n’avais pas le droit d’enregistrer une ballade avec David Bowie, un morceau de b-boy ou un morceau d’une heure ? Timeless, Malice in Wonderland ou Saturnz Return sont des putains d’albums, j’en suis persuadé. Et je n’arrêterai jamais de faire ce que je veux. Aujourd’hui, je sors mes disques moi-même, sans aucune pression, j’enregistre quand je veux, comme je veux, ce que je veux. Je suis heureux.
Goldie, Fabriclive 58 (Fabric)
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