Herbert - Autofiction (paru dans Trax, avril 2010)



Imprévisible et insatiable, Herbert n’est jamais là où on l’attend. En près de quinze ans d’agitations élastiques entre inventions furieuses et pop électronique ludique, on l’a entendu réinventer la house et la musique de big-band, secouer le cocotier électronique avec son « Personal Contract for the Composition of Music» dans lequel il se refusait à utiliser les instruments électroniques de masse, attaquer frontalement quelques multinationales, l’industrie agroalimentaire et enregistrer dans les Chambres du Parlement. Il nous surprend pourtant encore avec One, trilogie à contrainte et à tiroirs dans laquelle il force les traits pour mieux se réinventer. En attendant One Club (pour lequel il prévoit d’utiliser exclusivement des sons enregistrés au Robert Johnson de Francfort) et surtout le déjà polémique One Pig (récit de la vie d’un cochon, de sa naissance à son égorgement), One One voit l’Anglais abandonner les délires symphoniques pour une pop électronique intimiste, rayonnante, discrètement expérimentale, entièrement jouée et, c’est une première, chantée par ses soins. Il nous parle de cette parenthèse émouvante, presque enchantée.

Qu’est-ce qui a motivé la contrainte d’un album en solitaire à ce moment de ta carrière?

Sur There’s Me and There’s You, il y avait plus de 300 participants, et j’avais l’impression de ne pas tout à fait avoir le contrôle sur mes chansons. C’était comme du téléphone arabe, je donnais des instructions à tout le monde mais je me retrouvais avec des morceaux de musique différents de ceux que j’avais en tête. Je pensais probablement que je maîtriserais plus le résultat final en faisant tout moi-même.

Scale, ton album de 2006, était signé Herbert mais était entièrement joué et chanté par d’autres.  Tu en avais assez de cette schizophrénie ?

Le music business manque de mots pour décrire les objets qu’il vend. Par exemple, on me parle toujours de concept album, mais est-ce qu’on demande à Paul Auster s’il écrit des romans concept ? Pour moi, Herbert n’est qu’un nom. Je ne veux pas avoir l’air de faire partie des arcanes. Je suis un homme du peuple.

Et pourtant, cet album est centré exclusivement autour de toi, et il est entièrement de ton fait.

Ce n’est pas si surprenant pour un disque de pop électronique. Tout le monde semble obnubilé par sa petite personne. Ce qui est très triste, quand on pense à toutes les grandes histoires désespérantes qui se racontent chaque jour dans le monde.

Le sujet des chansons de One : One est rarement toi.

C’est le disque le plus honnête et les plus intime que j’ai jamais enregistré, mais j’y raconte beaucoup d’histoires.

Cette honnêteté est une contrainte?

Les tours de magie mis à part, je n’aime pas la supercherie. Je suis privilégié de pouvoir faire ce que je fais et il est de ma responsabilité de remettre ce privilège en question, plutôt que de chanter sur les belles voitures que mes royalties m’ont permis d’acheter.

Jusqu’à quel point les contraintes que tu t’imposes sont-elles essentielles ?

Elles sont très importantes. Pour cet album particulièrement. J’aurais pu appeler Dave de The Invisible pour qu’il vienne jouer de la guitare à ma place, et Eska, du Big Band, aurait chanté n’importe quelle chanson de l’album cent fois mieux que moi. Mais il fallait que je me restreigne dans cette volonté systématique de faire mieux, pour faire autrement. Se contraindre soi-même est douloureux. Mais c’est aussi excitant. C’est le contraire d’une canette de Coca Cola.

Tu penses sincèrement que l’album aurait été meilleur s’il avait été joué par les meilleurs musiciens du monde ?

C’est un problème presque métaphysique. Prends Paul McCartney : c’est un génie du songwriting, il a les meilleurs studios à sa disposition, mais la musique qu’il fait maintenant est incroyablement moyenne. Je voulais enregistrer ce disque de la manière la plus juste possible. Et toutes les conséquences furent très positives. J’ai énormément appris sur les guitares. J’ai appris la clarinette pour pouvoir en jouer moi-même. Le fait de se cogner contre les murs d’une méchante contrainte peut-être étrangement libérateur.

Tu as du abandonner des idées en chemin ?

Je n’ai pas réussi à apprendre la trompette. Et je suis vraiment très mauvais à la batterie. Mais je me suis beaucoup amusé, alors que j’étais rentré dans une routine de travail bien trop prévisible à mon goût. Bien sûr, pendant ce temps, je ne pensais pas aux prises de position du Pape sur l’avortement. L’enregistrement de ce disque fut comme un long jour de congé, loin de mes préoccupations habituelles.

Tu continues à te mettre en danger à chaque disque.

Je suis un privilégié. Il est de ma responsabilité de continuer à faire des disques stimulants, le contraire serait un désastre intime. Et je veux que mes œuvres soient plus importantes que moi. La pochette de There’s Me and There’s You était une pétition qui disait : « Nous pensons que la musique est encore une force politique et pas nécessairement la bande-son d’une surconsommation effrénée ». Et en dépit des 25000 exemplaires vendus, nous n’en avons pas reçu une seule. C’est assez déprimant, et je veux éviter ça avec mon oeuvre. C’est pour ça que  la prochaine étape est un film.

Un film ?

Une comédie musicale sur le son. C’est la seule idée que j’ai trouvé pour centraliser toutes les facettes de mon travail et pour clarifier certaines choses. Par exemple, le troisième volet de la trilogie One raconte la vie d’un cochon, et est devenu un objet de controverse indécent en Angleterre à cause de la dernière étape du disque, pour laquelle j’ai enregistré la mort du cochon. Les associations de défense des animaux en ont après moi alors que le cochon est mort des mains d’un éleveur. Par contre, personne ne s’est offusqué quand j’ai utilisé les bruits de Palestiniens en train se de faire tirer dessus dans un spot pour l’Eurovision, aucun journaliste ne m’a même interviewé à ce sujet. Il m’est de plus en plus difficile de raconter ces choses à travers la musique et le son.

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