Puisqu'on parle de Demdike Stare, il faut évoquer de nouveau l’hantologie, cette « éruption » spectrale et spécifiquement britannique de l’ère du temps notamment déchiffrée par quelques journalistes avisés (Simon Reynolds ou Ken Hollings) dans les pratiques artistiques paradoxales et feuilletées de quelques explorateurs nostalgiques comme les artistes du label Ghost Box ou l’encyclopédiste Jonny Trunk. A la lisière de ce nuage insaisissable, on distingue aussi souvent le travail du duo britannique Demdike Stare, dont le nom (référence au prénom ‘magique’ de la plus célèbre des sorcières du Lancashire, objets de l’un des plus fameux procès en sorcellerie de l’histoire britannique) comme l’univers esthétique ténébreux sont autant de faux-semblants pour se perdre dans les méandres des occultismes d’hier et d’aujourd’hui. Formé d’un producteur techno travaillé par l’obscurité (Miles Whittaker, de Pendle Coven) et d’un collectionneur compulsif de grimoires musicaux (Sean Canty, organisateur des soirées Haxan et curator pour le label de réédition Finders Keepers), le duo explore pourtant depuis sa première série de maxis un univers qui ne lui appartient qu’à lui, limitrophe avec fréquences électroniques arctiques de Mika Vainio, la techno d’échos de Basic Channel, les disques de bruitages ou les musiques traditionnelles moyen-orientales. Mais comment, au juste, le duo se situe-t-il dans notre zeitgeist musical ? Miles Whittaker : « Nous voyons bien pourquoi on nous assimile à cette ''scène'' qu’on appelle l’hantologie, bien que nous ne visions aucun rayon en particulier chez les disquaires. Nous ne sommes pas très au courant de ce que s’y passe en fait, mais nous sommes au courant des points communs. En fait, Sean et moi sommes tous deux originaires de la même région que les sorcières du Lancashire, j’y vis encore aujourd’hui, et nous avons grandi dans une certaine tradition ésotérique. Notre prochain disque emprunte son titre à un chapitre du Bardo Thödol (le Livre des morts tibétain, ndr), ce qui montre bien notre intérêt pour les films et les livres de la tradition ésotérique. Quoique notre intérêt est peut-être motivé par la musique qui sort de nous, qui est plus souvent noire et mystérieuse que lumineuse et fantasque, et cet univers thématique lui correspond bien ».
Myriade de possibilités
Après un remarqué premier album en forme de bilan (Symbiosis) et une mixtape grand-angle dont le tracklisting tenu secret est obscur comme une nuit d’encre (Osmosis), le duo entame ce printemps un triptyque 100% analogique (des vinyles ultra-limitées) dans lequel il noircit encore un peu plus le trait. Emballé dans une planche de Ouija customisée par Andy Votel, Forest of Evil (rien à voir avec les Fleurs du mal de ce bon vieux Charles ni avec leur adaptation électronique par la sorcière Ruth White) convoque les esprits en deux longues plages à épisodes bien plus étranges et perturbantes que leurs premiers efforts crossover : « Le titre vient d’un disque de musique d’illustration du début des années 80, dont nous n’avons utilisé que le titre comme base d’inspiration. Les deux autres parties à venir de la trilogie suivent une intention similaire mais diffèrent beaucoup par leurs palettes et leurs structures ». Délaissant largement la techno caverneuse qui servait de fil d’Ariane presque fortuit aux matières de Symbiosis, Forest of Evil est l’occasion pour le duo de parfaire son art du filtrage des samples par la manipulation des matières analogiques : « Le bousculement des samples et des synthétiseurs, c’est le cœur de Demdike Stare. L’usage des samples fait partie de notre éducation, Sean via le hip-hop, moi via les débuts de la jungle et ma fascination pour les samplers Akai. L’usage caractérisé de sons analogiques parfois envahissant permet de faire résonner les found sounds et les samples, qui ne fonctionnent pas comme des balises comme dans le hip-hop, mais comme les fondations de quelque chose de nouveau. Notre horizon de référence reste les pionniers du BBC Radiophonic Workshop, Ilhan Mimaroglu, Daphne Oram ou certains compositeurs de musique d’illustration comme Camille Sauvage, dont la liberté sonique et les innovations techniques ont ouvert des myriades de possibilités ».
Dernière séance
Travaillés par les percussions du free-jazz comme par les moments les plus dissonants de Morricone (on conseille en passant ses b.o. hallucinantes pour L'attentat d'Yves Boisset, Veruschka de Rubartelli ou The Human Factor de Edward Dmytryk), Forest of Evil parfait aussi forcément la fibre cinématique de la musique de Demdike Stare. A l’instar de Steve Moore, qui compose seul ou avec Zombi des vraies b.o. de vrais films d’horreur low budget, le duo serait-il en route vers de vraies b.o. ? « En fait, nous avons conçu ce projet dans le but précis de composer des bandes sonores ou des musiques pour le cinéma. Nous sommes des fans hardcore de vieilles VHS presque autant que de vieux vinyles, et l’atmosphères des soundtracks de giallos ou des vieux films d’épouvante britanniques est notre première inspiration. Pouvoir conjurer un lever de soleil ou une angoisse extrême avec de la musique revient à faire de la magie, puisque le son est par définition unidimensionnel ». Laissez-vous terroriser.
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